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Guinée, changement de cap ou moratoire sur l’exploitation des mines

Youssouf Sylla

Le fait pour un pays d’avoir d’importantes ressources naturelles est loin de conditionner la prospérité de sa population. Le lien entre les deux n’est pas automatique et la Guinée est un exemple qui confirme ce postulat. Si l’État tire du secteur minier l’essentiel de ses recettes et que les entreprises qui y opèrent fournissent aussi quelques emplois directs et indirects, force est cependant de constater qu’on est encore loin du compte. Après 60 ans d’exploitation de ces ressources, la pauvreté n’a pas reculé dans le pays ! En effet, lorsqu’on compare au revenu du Guinéen lambda, les milliards de dollars générés dans le monde par la transformation des ressources du sol et du sous-sol guinéen, on est effaré et même tenté d’arracher nos cheveux, à la découverte du gap. Et ce n’est pas tout. Outre le fait que les Guinéens ne voient pas la couleur de l’argent de leurs minerais, ils subissent aussi, à cause de leur exploitation, la destruction de leur environnement naturel (couvert végétal, cours d’eau, etc.) et la déstructuration des liens entre les membres de certaines communautés déplacées. Le passif environnemental ainsi créé sera injustement supporté par les générations futures. Au final lorsqu’on met dans la balance les coûts et avantages de cette exploitation au regard de la prospérité des populations et non celle de quelques intermédiaires qui se remplissent les poches en facilitant la conclusion de gros contrats miniers entre l’État et les multinationales, le calcul est vite fait, même sans machines : les coûts l’emportent nettement sur les avantages.

Le paradoxe guinéen 

Si l’existence de ces richesses attire les plus grands investisseurs étrangers, la prospérité que les populations sont en mesure d’en tirer résulte quant à elle de l’existence d’une bonne politique minière (lois pertinentes par exemple les domaines de l’investissement et de l’environnement, contrats équilibrés prévoyant notamment l’entrée de l’État dans le capital des multinationales opérantes dans l’industrie extractive, et surtout, politique équitable de redistribution des revenus générés par le secteur). Il doit donc y avoir une corrélation entre une mise en valeur responsable et durable des ressources naturelles et une bonne politique nationale orientée vers la prospérité des populations. Le tout reposant sur une stabilité politique intérieure.

Cette corrélation fait défaut en Guinée, deuxième producteur de bauxite dans le monde (22,1% de la production mondiale) en 2020 après l’Australie (29,6%). Selon le think tank canadien, Fraser Institute, si la Guinée est la juridiction la plus attractive en Afrique en matière de potentiel minéral (classement de 2019), elle occupe cependant une piètre place en matière de politique minière, 68ème rang. Pour les auteurs du classement, « ce fossé entre son potentiel minéral et les politiques minières signifie que le pays a encore du chemin à faire en matière de réformes de ses réglementations ». La Guinée n’est pas un cas isolé en Afrique, car depuis de longues décennies, les États de ce continent ne cessent de se plaindre auprès des multinationales occidentales du déséquilibre systématique des contrats qui les lient et qui portent sur les matières premières (bauxites, fer, diamant, cacao, la liste est longue). Selon l’Organisation internationale du cacao (ICCO en anglais) par exemple, l’Afrique produit plus de 70% du cacao mondial, mais sur les 100 milliards de dollars générés chaque année par l’industrie chocolatière mondiale, les pays producteurs ne captent que 6% de cette somme tandis que les paysans, producteurs directs de fèves, ne profitent que de 2% de cette manne.

Toutefois, en Afrique, des pays comme le Botswana font exception. Dans l’exploitation de ses diamants par la société De Beers, le Botswana a réussi à instaurer une bonne synchronisation entre la mise en valeur de ses diamants par cette société et la prospérité de sa population qui voit la couleur de l’argent du diamant, à travers une excellente politique minière. Selon Pierre Magnan de France Télévision, « le secteur du diamant procure près de 40% du PIB et près de 89% des revenus d’exportation du Botswana ». Dans une étude consacrée au modèle Botswanais, Fabrice Noah, enseignant-chercheur à l’Université de Maroua-Cameroun, décrit brillamment les éléments d’intelligence économique appliqués par ce pays à l’industrie du diamant. Avec cette intelligence, l’État Botswanais a réussi à obtenir de la multinationale De Beers, la création d’une joint-venture « Debswana » chargée de l’activité minière. L’État détient une part de 50% dans le capital de Debswana, ce qui correspond à  50% du profit. Tout ceci a été rendu possible par la stabilité politique du pays, ancienne colonie britannique d’Afrique australe, indépendante depuis 1966 avec une population d’un peu plus de 2 millions d’habitants.

Questionnement et perspectives de la politique minière en Guinée 

Quatre constats permettent de réaliser ce questionnement et d’envisager quelques perspectives. Il s’agit du caractère épuisable des ressources naturelles à force d’être exploitées, de l’absence de synchronisation entre cette exploitation et le bien-être des populations, de la non-participation de l’Etat dans l’actionnariat des multinationales exploitants des ressources, et enfin, des conséquences négatives de l’exploitation des ressources sur l’environnement naturel et la structure de certaines communautés environnantes. Face à ces constats, l’État a le choix entre deux options : s’inspirer de l’expérience de Botswana en inversant radicalement les pratiques et politiques minières non bénéfiques aux populations, ou alors, imposer un moratoire temporaire et stratégique sur l’exploitation des mines, après une très large consultation populaire. Pourquoi pas après un referendum. Le but du moratoire est la préservation des intérêts légitimes des générations futures et l’évitement du gaspillage des ressources. En optant pour le second choix, l’État devrait, dans ce cas, orienter les activités économiques vers la valorisation des ressources renouvelables du secteur agricole, halieutique et touristique par exemple. Il sagit là également des domaines dans lesquels, le potentiel de la Guinée est exceptionnel et largement inexploité.

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