Le 14 mars, 2004, l’opposant guinéen, Siradiou Diallo, s’éteignait à Paris. Sa disparition brusque et prématurée, avait créé un choc et un drame pour ses nombreux militants, sympathisants, mais aussi, pour sa femme Assiatou Bah et ses deux enfants.
Quinze ans après sa disparition, sa veuve accepte, de nous livrer certains de ses souvenirs sur l’homme politique en toute sincérité,sans tabou.
L’histoire du couple Siradiou-Assiatou, c’est l’histoire de la Guinée d’après l’indépendance, dans ses moments les plus sombres, l’exil, le retour sous le président Conté et l’avènement du multi pluralisme.
Diplômée de Georgetown University, à Washington, Assiatou Bah, a elle aussi subi des démêlés avec le régime du président Ahmed Sékou Touré.
Témoin privilégié de la vie politique guinéenne ces 60 dernières années, Assiatou Bah Diallo nous livre dans cet entretien, ses souvenirs sur son mari, de la lutte que ce dernier a joué au sein de l’opposition, ses déboires à elle au début de sa carrière avec les autorités guinéennes d’alors et tout cela, en ce mois de mars, – mois de la femme.
Ancienne rédactrice en chef du magazine Amina, elle a joué un rôle de premier plan, pour promouvoir la femme africaine, antillaise et noire en général.
Guinéenews© : Si votre mari vivait aujourd’hui, il aurait eu presque, 83 ans. Siradiou Diallo était connu, pour être en bonne santé avec une qualité de vie saine. Sa mort subite et prématurée, avait fait dire à certains, qu’il avait été victime d’un empoisonnement. Partagez vous cette thèse ?
Assiatou Bah Diallo : J’ai également entendu cette rumeur infondée. Dans nos pays où l’irrationnel n’est jamais loin, la mort subite suscite toujours des interrogations surtout lorsqu’elle est brutale et inattendue. Dans le cas de Siradiou, moi-même, je n’ai rien vu venir.
Guinéenews© : Pour le commun des Guinéens, Siradiou Diall était le leader d’un parti d’opposition. Pour vous, il représentait quoi ?
Assiatou Bah Diallo : Pour moi, Siradiou est avant tout un ami, un bouclier protecteur, un complice, mon âme sœur. Avec cet homme de culture, généreux, bienveillant, j’ai entretenu une relation fusionnelle dans le respect mutuel. Sa patience, sa tolérance n’ont d’égal que l’humour et la dérision dont il use et abuse pour désamorcer n’importe quelle bombe.
En 36 ans de mariage, pas une seule ombre au tableau. Ceux qui nous connaissent le savent.
Siradiou, est son nom. Déformation peule de Seraj, qui veut dire lumière en arabe. Ce père aimant et attentionné a illuminé l’existence de ses enfants et la mienne, nous laissant l’amour en héritage.
Vous savez, je me suis toujours posée la question de savoir si nos prénoms balisent nos chemins de vie pour leur donner un sens, une orientation…! Ont-ils seulement un rôle, un impact…? Maintenant, je le sais…
Toujours est-il que parmi nos connaissances, nos rencontres, il y a celles qui passent et celles qui nous marquent à jamais. Indéniablement, Siradiou a marqué un certain nombre d’entre nous…
Aujourd’hui, il laisse derrière lui, un halo de lumière, qui sert d’aiguillon à tous ceux qui l’ont aimé.
Guinéenews© : Votre mari était économiste et banquier de profession. Le journalisme, n’est venu qu’après. Vous aussi, après des études à Georgetown, à Washington, vous vous êtes lancée dans le même métier. Est-ce lui qui vous a détourné de votre filière, de l’université et vous a donné le goût des médias ?
Assiatou Bah Diallo : Ni lui, ni moi n’avons choisi nos carrières. Le hasard s’en est chargé tout seul. Mariés en 1968 à la Mairie du Louvre à Paris, Siradiou travaillait déjà à l’INSEE (l’Institut National de la Statistique).
Parallèlement, il est le président du Regroupement des Guinéens de l’Etranger (RGE). Un organe de lutte contre la dictature du président Sékou Touré qui a ses antennes en Afrique dans différents pays d’Europe, aux Etats Unis, au Canada, et même au Japon.
« Guinée Perspectives Nouvelles », le journal du parti publiait régulièrement des dossiers bien documentés sur l’économie guinéenne. Alors, Siradiou se rend à Jeune Afrique avec l’espoir de faire publier des extraits.
C’est là que le directeur lui commande un article sur « le Droit de Tirages Spéciaux » Je me souviens, il me l’a fait lire. Après quoi, Béchir Ben Yahmed lui propose une collaboration. Nous sommes en 1970.
Quant à moi, je commence par frapper à la porte de l’UNESCO où mon profil intéresse. Mais faute d’avoir l’accord de mon gouvernement, et pour cause ! Le contentieux est lourd. A la fin de mes études à Georgetown University (Washington DC), je ne rentre pas au pays, comme prévu. A l’escale de Paris, je leur fais faux bon. Pire, j’épouse le chef de l’opposition.
Qu’à cela ne tienne, à défaut d’une lettre d’embauche, l’UNESCO m’offre un contrat de consultant, que j’exécute.
Cependant, difficile de se résoudre à multiplier les contrats de consultant, alors que je débute dans la vie. Peu de temps après, je suis engagée à l’ambassade de Tanzanie en qualité d’interprète-conseiller. L’année d’après, l’ambassade du Nigéria me fait une offre alléchante que j’accepte. Malheureusement, je ne ferai pas fait long feu…La Guinée se dépêche d’envoyer une lettre de protestation. Les autorités guinéennes s’offusquent qu’un pays ami embauche l’épouse guinéenne d’un opposant notoire. Aussitôt prévenue, je prends les devants et démissionne.
Tout ça pour dire, que l’exil n’est jamais un long fleuve tranquille.
Mais Dieu ne ferme jamais une porte sans en ouvrir une autre. Je n’ai pas de temps de me retourner que la chance me sourit. En effet, par un bel après-midi d’été, mon mari et moi sommes à l’Olympia pour répondre à une invitation de presse à un concert, d’Abeti Massikini . J’ignore encore que j’allais à la rencontre de mon destin.
Dans la file d’attente du célèbre music-hall parisien, je vois arriver peu de temps après, un monsieur, la cinquantaine fringante. Il fonce droit sur nous, en s’esclaffant.
Quoi tu es marié ?
Une question qui déclenche un jeu de ping-pong verbal d’où j’étais exclue.
Au moment de rejoindre nos places respectives, il lance à l’endroit de mon mari
« Envoie la moi s’occuper d’Amina ! »
Un bébé âgé à peine de six mois.
Un mois après je me décide à franchir le lourd portail du 11 Rue de Téhéran, 8ème. Ce 3 novembre 1973, je suis loin d’imaginer que ce serait jusqu’à ce que la mort nous sépare….En effet, Michel de Breteuil le fondateur du magazine, s’en est allé en avril 2018, à l’âge de 91 ans.
Guinéenews© : À propos de votre travail de journaliste, comment se porte, le magazine Amina, dont vous avez longtemps été rédactrice en chef.
Assiatou Bah Diallo : Amina poursuit son envol avec Nathalie de Breteuil, la fille qui a rejoint l’équipe quelques années auparavant. Avec la disparition de mon patron, je mets fin à quarante cinq ans de collaboration.
Guineenews© : Siradiou était le plus farouche opposant à Sékou Touré et la plus grande figure de l’opposition à son époque, même s’il n’était pas reconnu par tous. André Lewin disait qu’il était celui qui irritait le plus le président guinéen. Quel rôle son mouvement, le Regroupement des Guinéens à l’extérieur, le RGE, avait-t-il joué pour faire tomber la dictature de la première république ?
Assiatou Bah Diallo : Le président Sékou Touré, comme chacun le sait est mort en 1984, aux Etats-Unis de sa belle mort…
Disons que le RGE a largement contribué à démystifier le régime, tout comme à la prise de conscience de la diaspora et à la mise en place d’une solide organisation. Autant de facteurs qui ont abouti à une mobilisation sans précédent dont les résultats ne se sont pas fait attendre.
Décrié à l’intérieur, le régime grâce à cette mobilisation est décrédibilisé à l’extérieur.
Guinéenews© : Votre mari n’était pas, le seul opposant, au régime de Sékou Touré. Il y’avait les Ibrahima Baba Kaké, Ba Mamadou, James Soumah, Charles Diané, Ansoumane Doré, Jean-Marie Doré, un certain Alpha Condé, et j’en passe. La désunion de l’opposition guinéenne ne date pas d’aujourd’hui. Elle ne s’entendait pas hier, elle continue à être divisée, aujourd’hui. À quoi cela est dû ?
Assiatou Bah Diallo : Parler de désunion de l’opposition suppose qu’il s’agit là d’un groupe homogène qui se concerte pour toutes les activités à entreprendre, les actes à poser. Or nous savons qu’il n’en n’est rien.
Les différentes formations politiques sur le terrain sont de mouvements spontanés dont les leaders se sont lancés dans la bataille sans forcément conjuguer le même verbe. Les tentatives de coordination ne viendront qu’après.
Guineenews© : Le Portugal a envahi la Guinée le 22 novembre, 1970 pour tuer Amilcar Cabral, qui avait sa base à la Minière, libérer ses prisonniers tenus en otage dans les mains du PAIGC et anéantir ce mouvement de libération. À la suite du débarquement de quelques bateaux sur les côtes guinéennes, votre mari avait été accusé, d’en être le cerveau. Que répondez-vous à ceux qui apportent cette accusation ?
Assiatou Bah Diallo : Pour ma part, je me méfie des affirmations gratuites et me garderai bien de porter des jugements hâtifs tellement l’affaire du 22 novembre comporte de zones d’ombre, qui méritent d’être éclaircies. Tant que nous n’avons pas tous les éléments en main, il me semble que la prudence s’impose.
Pour ce qui est de Siradiou, à tort ou à raison, cette histoire lui colle à la peau. Tant et si bien que lors de la campagne présidentielle de 1993, ses adversaires politiques pensant le disqualifier ont envoyé à travers tout le pays, des questionnaires autour de cette affaire du 22 novembre. Siradiou s’en était expliqué, sans détour « Oui j’y étais ! …», racontant avec force, détails, comment il se retrouve embarqué dans cette aventure . Ses élans de sincérité, ont fini par convaincre le public. Finalement, au lieu de la descente aux enfers que ses adversaires ont prévu pour lui, partout il récolte des tonnerres d’applaudissements. Il en ressort grandi, au grand désespoir des colporteurs de la rumeur et de leurs commanditaires.
Guineenews© : Le PDG qui était le parti au pouvoir à l’époque envoyait ses agents à l’étranger pour kidnapper et si possible tuer les opposants. L’on se rappelle de la tentative de kidnapping, du professeur Ibrahima Baba Kaké, en 1982, à la veille de la visite, du président Ahmed Sékou Touré, à Paris. Est-ce que votre mari qui était dans le collimateur du régime avait subi de tels actes ou de telles tentatives, au cours de son exil ?
Assiatou Bah Diallo : Non pas à ma connaissance…
Guineenews© : André Lewin, ancien représentant du secrétaire général des Nations-Unies et ancien ambassadeur de la France en Guinée parle dans ses souvenirs d’un meeting qui avait eu lieu entre Béchir Ben Yahmed, le fondateur de Jeune Afrique, Siradiou et lui, sur sa demande. Pourquoi le diplomate français voulait les voir, ensemble ?
Assiatou Bah Diallo: Il me semble que Béchir est le mieux placé pour répondre à cette question, les deux autres protagonistes n’étant plus de ce monde.
Assiatou Bah Diallo: Aucun…J’ai suivi Siradiou partout…Son discours n’a jamais varié. Il disait toujours : « Je n’ai pas créé de parti pour en être absolument le « président » avant d’ajouter : «… Pourvu qu’il sorte de nos rangs. »
Joignant le geste à la parole, il s’est non seulement désisté pour le doyen, mieux, il s’est proclamé son directeur de campagne.
Guinéenews : Quel genre de relations, entretenait-il avec le président Lansana Conté qui avait accepté d’introduire le processus démocratique ?
Assiatou Bah Diallo : Rien à signaler de ce côté-là.
Guineenews : Quand on demandait à Siradiou, pourquoi il ne répondait pas à la violence par la violence au cours des manifestations durant lesquelles, les militants de l’opposition étaient brutalisés, il répondait toujours ‘’que c’est son éducation qui ne lui permettait pas, de le faire’’. Pensez-vous que cette stratégie de non-violence soit efficace, face surtout à des régimes qui tiennent coûte que coûte, à leur survie, comme c’est le cas en Guinée ?
Assiatou Bah Diallo : C’est vrai, il répétait à l’envie : « Je ne suis pas prêt à enjamber des cadavres pour accéder au pouvoir… ». Un choix politique auquel auquel j’adhère.
Guineenews© : Le PRP créé par votre mari et qui est devenu après UPR n’est plus un grand parti. Pourquoi cette descendance dans les oubliettes d’un parti qui avait pourtant des millions d’adhérents ?
Assiatou Bah Diallo : Preuve est faite, si besoin en est, qu’en toute chose, ce sont les ressources humaines qui font toute la différence.
Guineenews© : Quels sont vos rapports avec Bah Ousmane aujourd’hui, qui a repris les rênes de cette formation politique ?
Assiatou Bah Diallo : A la mort de mon mari, Ousmane Bah est devenu le président du parti et moi la vice présidente. Parce que nous avons tous les deux su raison garder, nos rapports sont restés cordiaux.
Guineenews© : Vous étiez engagée auprès de votre époux, jusqu’à sa mort. Aujourd’hui, on a l’impression que vous n’êtes plus du combat politique, en Guinée. Vous suivez tout, à partir de Paris. On vous sent un peu discrète, attachée à une certaine réserve, face à ce qui se passe au pays. À quoi cela est dû ?
Assiatou Bah Diallo : On vous a mal informé, croyez-moi. Je suis députée à l’Assemblée Nationale, depuis cinq ans. Pas une seule fois on m’a porté absente. Ne serait-ce que pour cause de maladie. Au parti également.
Et je m’acquitte du mieux que je peux des missions qui me sont confiées, aussi bien à l’intérieur du pays, qu’à l’étranger. C’est ainsi qu’en 2016 et 2017, j’ai représenté l’UFDG à l’International Libéral où j’étais membre du Comité des Droits Humains…
Je comprends que pour certains, le fait de ne pas hurler avec les loups soit synonyme de léthargie. Ils oublient seulement qu’après cinquante ans de militantisme, c’est-à-dire plus que certaines personnes ne vivent sur terre, difficile pour moi de rester inactive, même si je le voulais. Comme dit l’adage « militant d’un jour, militant pour toujours ! »
Guineenews© : Nous sommes au mois de Mars, mois consacré aux femmes. En tant que femme et journaliste, comment évaluez-vous les chances de la Guinéenne en politique, au plus haut sommet de l’Etat ?
Assiatou Bah Diallo : N’oubliez pas que la Guinée a déja porté une femme au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Jeanne Martin Cissé a même présidé le même Conseil…
Nous avons déjà en Afrique, des exemples de femmes au sommet de l’Etat. On se souvient qu’en 2015, lors des élections présidentielles en Guinée, Marie Madeleine Dioubaté, était candidate pour occuper le fauteuil présidentiel. En ce qui me concerne, je ne doute pas un seul instant dans un proche avenir le locataire de Sékoutouréya soit une femme. Toutes les conditions sont réunies, la balle est dans leur camp.
Ceci dit, le but ultime de mon combat n’est pas de porter une femme à la tête de l’Etat. Mon vœu le plus cher est de voir aux commandes, une personne Homme ou Femme, qui incarne les valeurs fondamentales d’une République et qui garantira l’instauration d’une vraie démocratie, dans un Etat de droit.
Interview réalisée par Mouctar Baldé pour Guinéenews