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Dossier – Guinée : L’inertie du gouvernement face à l’agonie des sapeurs-pompiers

Peut-on encore espérer des sapeurs-pompiers face à un incendie dévastateur? Ou doit-on tout simplement se passer de ces soldats du feu dont l’apport est quasiment nul dans nos cités ? Pour beaucoup de citoyens, on n’a rien à attendre d’eux face à un sinistre. Mal formés et dépourvus d’équipements, les pompiers guinéens sont impuissants à chaque  fois qu’ils tentent d’intervenir sur les lieux d’un sinistre. En clair, c’est  l’inertie du gouvernement, à travers le ministère de la Sécurité et de la protection civile qui est mise en cause face à cette agonie des services des sapeurs-pompiers.

Tenez ! En mars 2018, un spectaculaire incendie s’est déclaré, tard dans la nuit, dans le principal marché de Madina, le plus grand centre d’affaire du pays. Aucune victime n’a été déplorée mais le feu a provoqué d’importants dégâts matériels. Arrivés sur les lieux très tôt le matin, c’est à une véritable scène de désolation qui nous a été donnée d’assister. La quasi-totalité du marché de Madina était partie en fumée. Ce marché qui compte de centaines et des milliers de magasins, des boutiques et des agences de micro finance, est pourtant situé à quelques mètres de la caserne des sapeurs-pompiers de Tombo.

Selon les témoins rencontrés, le feu s’était déclaré aux alentours de 3h du matin, mais il a fallu plusieurs heures avant que les  pompiers ne pointent le nez. Ce sont   les populations, aidées de policiers et de vigiles qui ont pu maîtriser le sinistre, à l’aide de simples seaux ou de bidons d’eau. En cause, l’absence  de camion-citerne et, comme c’est souvent le cas, sur le site, l’absence des bouches à incendie. Par ailleurs, selon toujours les témoins, la lutte contre le sinistre a été compliquée,  par le vent, en cette période d’harmattan. Et ce n’est pas la première fois qu’un marché du pays soit la proie des flammes. Si, côté bilan humain, c’est le soulagement parce que le feu n’a pas fait de victimes, les commerçants eux, sont au désespoir.

Des incendies récurrents

Le 17 mai 2018, un autre incendie avait entrainé de gros dégâts au marché d’Enta, dans la commune de Matoto. Là encore, sans les  pompiers, les riverains ont lutté contre les flammes une partie de la nuit. Aucune victime n’était à déplorer, mais le lieu a été quasiment détruit. Ce jeudi matin, le bilan humain était au soulagement puisqu’il n’y a pas de victime. En revanche, la quasi-totalité du marché avait été ravagée. Le bâtiment central en béton et tous les petits commerces aux alentours faits de planches de bois, de brique et de tôles métalliques sont partis en fumées, malgré les efforts des commerçants et des habitants qui ont essayé avec leurs faibles moyens d’acheminer de l’eau dans des bassines ou des seaux de fortune. On a aussi vu des hommes essayer de créer une saignée entre les boutiques pour couper la progression du feu. Les pompiers,  arrivés vers 21H00 ont eu les plus grandes difficultés à trouver des bouches d’incendie. N’existant pas pour alimenter les lances à incendie. La partie a été vite perdue même si le vieux camion de sapeurs-pompiers de Matoto est arrivé en renfort des populations.

Evidemment, sur place, il restait la grande colère des habitants qui trouvaient que les pompiers avaient bien tardé et n’avaient pas fait grand-chose. Des pompiers, il y en avait 10 au plus fort de l’incendie à bord d’une vieille citerne à eau, hors d’usage. C’est vrai. Il y a eu des carences, mais cette nuit-là. Les pompiers avaient eu de la peine à se frayer un chemin dans une foule extrêmement compacte, plus spectatrice qu’actrice pour, par exemple, aider les femmes courageuses et quelques riverains à faire la chaîne pour acheminer des seaux d’eau jusqu’à l’incendie.

Rappelons aussi qu’en janvier dernier, un grand incendie s’est déclaré, dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26, et avait ravagé une partie du marché de Avaria à Madina, le plus grand lieu de vente de friperies à Conakry. Au moins 200 commerces, étals et kiosques furent détruits par les flammes.

« Lorsque j’ai vu ma marchandise complètement brûlée, je n’ai pas pu retenir mes larmes ». Bountouraby Sylla, une commerçante du marché d’Avaria était encore sous le choc quand nous arrivions  sur les lieux ce jour. Comme beaucoup, elle venait de s’approvisionner en pagnes, chaussures et autre vêtements. Elle venait ainsi de voir plus de 25 millions de francs guinéens,  de nouvelles marchandises, soit plus de 2000 euros partir en fumée.

« Si les pompiers étaient vite venus et des robinets d’eau étaient près du marché, nous aurions pu éteindre le feu plus vite », s’insurge Mamadou Diallo un des vigiles en poste devant la SOBRAGUI.

Pas plus tard que le week-end dernier un centre commercial et son contenu ont été réduits en cendre en plein jour au marché de Madina, en présence des sapeurs-pompiers, impuissants face aux flammes.

Le cycle des  incendies dévastateurs suit son cours

C’est vrai. Depuis quelques années, les sapeurs-pompiers présentent un visage d’impuissance. Ils se rendent dans les foyers d’incendie et montrent leur incapacité. Cet échec est celle d’un service à l’agonie. Un service dépassé, insuffisant et dépourvu de tous les moyens. Pour toute la zone de Conakry, on ne compte que 3 camions-incendie avec seulement un seul en état de service. Les autres camions en panne. Celui qui fonctionne n’a pas un grand réservoir, et il ne peut prendre que 1500 litres, l’équivalent de 5 minutes d’activité. Conséquences. Les sapeurs-pompiers sont décriés et la direction de la Protection Civile comprend la colère de la population.

Des casernes de pompiers vétustes !

Interrogé sur le nombre de casernes de sapeurs-pompiers que compte la zone spéciale de Conakry, on nous apprend dans les couloirs du ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, que la ville de Conakry compte à ce jour trois casernes dont une à Kaloum, une à Ratoma et l’autre à Matoto. Mais tenez-vous bien ! Ces trois « taudis » qu’il est convenu d’appeler casernes, n’ont qu’un seul camion-citerne fonctionnel de 1500l à Kaloum, un semi-fonctionnel à Matoto et un autre semi-fonctionnel à Ratoma qui sont, d’ailleurs sur cale depuis des années. Ces soit disant casernes sont toutes commandées, selon les informations reçues, par des policiers qui n’ont aucune formation en protection civile. La question est alors de savoir comment un policier formé pour la répression et le maintien d’ordre, peut-il diriger une compagnie de protection civile ? Et le comble dans tout ça, c’est que pour ce qui concerne les villes de l’intérieur, seuls les huit chefs-lieux de gouvernorat possèdent des cabines appelés casernes de sapeurs-pompiers. Dans ces villes, aux dires de nos informateurs, il n’existe ni camion-citerne, ni camion-benne, même pas une cuve d’eau dans les cabanes qui abritent soit trois ou deux agents mal équipés, pour intervenir « efficacement » en cas d’incendie. Et quand on sait que la République de Guinée ne compte que  950 agents de sapeurs-pompiers, il y a de quoi s’inquiéter.

Pour se rendre compte de cette réalité, nous nous sommes rendus à la caserne des sapeurs-pompiers de Kaloum, où siège la direction de la Protection Civile. Mais quelle ne fut pas notre surprise,  ce lieu sensé être le plus grand site du pays pour notre protection, est dépourvu de tout. Un dépotoir de carcasses de vieux camions abandonnés dans la cour, des robinets à sec où ne coule aucune goutte d’eau depuis des lustres, de vieux  bureaux poussiéreux, des salles vétustes. Pis encore, dans la cour et à l’intérieur du vieux bâtiment colonial, qui abrite la direction, on n’a aperçu aucune bouteille  d’extincteur collée au mur. Et on ne sera pas au bout de notre surprise quand on s’apercevra qu’à côté de ces vieilles installations, le seul numéro vert, par lequel on doit joindre les pompiers en cas d’accident ou d’incendie, est abandonné aux mains d’un agent qui passe son temps à regarder sur le Facebook ou à écourter les appels de détresse au lieu de laisser ses interlocuteurs aller au bout des explications. A peine il décroche qu’il raccroche immédiatement le téléphone sans connaitre le moindre indice sur le lieu de l’accident.

Des agents formés  qui se tournent les pouces

 

 Ces dix dernières années, la Guinée a formé un nombre important d’agents au compte de la protection civile. Ceux-ci sont revenus au pays avec une formation solide à l’instar de leurs collègues de la sous-région. Mais hélas ! Ces jeunes formés à coup de milliards de francs sont affectés dans les casernes où ils passent le clair de leur temps à se ronger les doigts, faute d’équipements. Certains sont en poste dans les villes de l’intérieur sans grands moyens pour faire face aux accidents ou aux incendies ravageurs. Comme c’est écrit tout haut, ils n’ont pas de casernes ni camion-citerne pour intervenir efficacement sur le terrain. Ces agents dont le nombre ne dépasse jamais deux, sont assis dans des kiosques de fortune qui leur servent de bureaux ou de base. Non équipés le plus souvent, ils assistent impuissants les drames se produire. C’est le cas des agents de Kindia qui ont vu comme de vulgaires spectateurs le grand marché partir en fumée: « Quand le feu s’est déclenché, les gens sont venus nous informer. Nous sommes partis sur les lieux et assister comme tous les autres citoyens aux dégâts…Que voulez-vous ? Nous sommes sous-équipés», relate impuissant, le chef des sapeurs- pompiers en poste à Kindia.

Les populations vivant à l’intérieur du pays sont ainsi exposées aux feux, à l’inondation, aux accidents sans secours. Et à travers elles, toute la population guinéenne.

Quid des milliards de FG affectés chaque année au département de la Sécurité et de la Protection Civile ?

Combien de sommes sortent chaque semaine des caisses de l’Etat pour le maintien d’ordre ? A combien s’élève le montant dépensé chaque mois pour dépêcher les forces de sécurité sur l’axe Hamdallaye-Bambeto-Coza-Wanindara ? Combien de francs guinéens dépense-t-on par an pour imposer de l’ordre sur ce petit espace de la capitale? Des milliers et des milliards de nos francs…Et pourtant, le service des sapeurs-pompiers, chargés de protéger tous les citoyens et leurs biens, de protéger le territoire national des catastrophes et autres désastres est laissé pour compte. Les sapeurs-pompiers démunis voient, impuissants, chaque jour les marchés, les foyers, les forêts partir en fumée. Des regards impuissants qui se portent également sur des quartiers, des villes et autres hameaux du pays, engloutis par des eaux de ruissellement à chaque hivernage.

La protection Civile reste-t-elle le parent pauvre de notre système sécuritaire? Le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile continuera-t-il à dépenser toute son énergie et son budget derrière les enseignants-grévistes, les membres du FNDC et les militants de l’opposition ? Pendant ce temps, les marchés brûlent chaque semaine, et il n’y a aucun moyen pour éteindre les feux. Les feux de brousse dévorent nos forêts chaque année, on attend la main de Dieu pour faire descendre la pluie. Les domiciles sont calcinés avec les citoyens chaque jour, c’est la volonté de Dieu. Les accidents mortels se multiplient à longueur de journée sur nos routes, c’est l’imprudence des conducteurs. Aucun secours aux accidentés. Pour l’heure, toutes les forces de sécurité sont concentrées sur l’unique « axe du mal » du pays. Que les sapeurs attendent. Que les populations se munissent des bidons d’eau et des feuilles pour se protéger contre d’éventuels incendies.

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