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Dossier-Guinée-Le marché local inondé d’alcool frelaté et de boissons périmées : attention danger !

Nous sommes à Boulbinet. Un quartier pauvre de Kaloum, le centre administratif et d’affaires de la capitale Conakry. Ici, Bitter-cola, Kiss MeTrésor, Fax 10%, Beer-Bear 12%, Voody 18%, Ice, Aristocrate, le Gin, ces alcools frelatés et autres boissons périmées sont prisés et font aujourd’hui le bonheur des buveurs dans les bars… Les gens s’adonnent à cœur joie à ces boissons pourries au vu et au su des habitants du quartier. C’est ici que nous avons rencontré Fodé Camara. Ce pêcheur a un régime draconien : quatre sachets le matin pour commencer la journée. On appelle ça « démarreur ». Dans son sac, plusieurs sachets reliés les uns aux autres attendent d’être vidés. (Crédit-photo :  Un tour du monde en 80 pays).

Son dernier repas ? Il s’en souvient à peine. Il ne s’alimente que sur insistance de ses proches. Son visage ravagé s’éclaire d’un sourire aux dents corrodées par une mystérieuse substance, ses lèvres brûlées par l’alcool ne saisissent plus les nuances des goûts. Trop faible pour travailler, il va tout de même au bord de la mer pour s’acheter ses doses. Au fond de ses yeux exorbités, se lit une grande détresse.

« Il doit bien y avoir un moyen de l’aider, mais nous ne savons pas ce qu’il faut faire », se lamente un de ses proches.  Fodé, accros à l’alcool frelaté est ainsi abandonné tout comme Younoussa, un réparateur de frigo trouvé mort au quartier Coronthie en août dernier, avec une bouteille de « Ice » de marque indienne à la main.

Quand les boissons frelatées et périmées font des ravages 

Le constat est amer et triste à la fois. Les boissons alcoolisées impropres à la consommation déciment les bras valides à travers le pays surtout dans la capitale. Il ne se passe un jour sans qu’un alcoolisé agonisant soit transporté à l’hôpital ou ne trouve la mort suite à la consommation abusive des boissons périmées et à forte dose.

Tenez ! Nous sommes en Juin 2018 dans une buvette renommée à « Tombo », un sous-quartier de la commune de Kaloum. Dans ce bar fréquenté par des clochards, des vagabonds, des fonctionnaires et des militaires, le tenancier sans crainte ni conscience, bazardait des cannettes et des cartons de « Amstel » pourris aux clients. En dessous des cannettes il est marqué : « date de péremption 18 juin à 19 heures. » Nous étions ce jour-là effectivement 18 juin et il était 16 heures. Malgré cette date visible sur les boites, les jeunes avalaient le contenu en clairon. Enivrés à mort, ils vidaient les cartons l’un après l’autre dans une ambiance de fête. Qui est fou ? C’est l’occasion de se « taper » la bière fraîche à gogo ! Mais hélas ! La fête va tourner au drame quand un parmi eux va tomber dans le bar pour succomber quelques heures après à l’hôpital Ignace Deen. Il ne s’est jamais réveillé. Ce type d’incident n’est pas rare dans le pays. Environ 40% des décès dans les hôpitaux, selon les médecins, sont dus à la consommation de l’alcool frelaté, nous rapporte sous le sceau de l’anonymat une source médicale.

Après donc « Kaloum », cap sur ‘’Concasseur’’, dans la commune de Dixinn. Aristocrate, Whisky gold, Ice, Lemon, Papa 888…, ce sont entre autres, des marques de liqueur bien prisées que nous avons pu trouver dans les différents points de vente lors de la réalisation du dossier. Il est 17 heures ce samedi, lorsque nous arrivons dans un bar chez « Bafodé, Castille Plus » à quelques encablures des rails. Un coin bien connu dans la zone, qui refuse du monde. Le constat crève les yeux. Tous les clients de ce bar, une trentaine de personnes, avaient chacun devant lui un verre ou un sachet contenant du liquide rouge ou clair. Les débats allaient bon train compte tenu de l’ambiance. Au fond du bar, d’autres clients somnolaient devant leur verre laissé à la merci des mouches.

Comment aborder ces consommateurs sans avoir de problèmes avec le gérant ni avec des clients qui sont parfois violents ? Après quelques hésitations, nous voilà devant le gérant, jouant aussi aux consommateurs. Parce qu’il faut trouver un moyen pour s’inviter dans le débat et pour recueillir l’avis de ces consommateurs. C’est ainsi que les portent s’ouvrent à nous.  Issiaga Camara, dit « Isaac », démarcheur de son état, la quarantaine bien sonnée, est un inconditionnel de ces liqueurs. Les yeux rouges, il nous signifie : « je consomme la liqueur, plus précisément la marque « Gin » et ce, depuis l’adolescence. Je peux même vous affirmer que je suis un accro de cet alcool. Parce que je ne peux plus m’en passer ». Isaac passe ses temps libres dans ce bar. Par jour, il peut consommer 30 à 40 topettes de « Gin », au pire toute la bouteille. Mais il peut aussi compter sur la solidarité de ces camarades buveurs pour trinquer quelques sachets de liqueurs, au cas où il n’a rien en poche.

Issiaga nous apprend aussi qu’il a perdu un de ses amis à cause de l’alcool frelaté. Car, l’organisme de ce dernier ne supportait plus et il en est mort. « Avec ma famille, il n’y a plus d’entente, et ma femme menace même de me quitter. Je ne gagne plus de clients avec mon métier de démarcheur du fait que les gens ne me prennent plus au sérieux, parce qu’on me colle l’étiquette de soûlard. Mon plus grand souhait, c’est de me débarrasser de la liqueur, car je n’en peux plus. Il suffit que je sorte de la maison et je suis tenté par les frelatés », déplore-t-il. Parfois Isaac a l’impression d’être attiré par des génies dans les débits de boissons. Avant qu’Isaac ne termine son propos, Sidiki S, alias « Dunga », la démarche titubante et un verre en main, rote avec force et dégage une odeur à vous couper le souffle. « Si la liqueur n’existait pas, il fallait la créer, car c’est une boisson qui nous permet de bien nous porter physiquement et moralement pour bien travailler », confie Dunga, du haut de ses 1, 80m. Pendant qu’il nous parle, il interpelle l’une des serveuses pour la majoration avec un sachet de Better cola qu’il avale en une gorgée. Sidiki n’a pu nous situer sur la quantité de sachets de liqueur consommée par jour.

Ainsi, de Conakry à Yomou en passant par Labé, on peut se procurer des boissons d’origine douteuse dont les dates de péremption sont largement dépassées sur tous les marchés et chez les grossistes. On les trouve sous forme de sachets de 50 à 200 millilitres. Ces sachets contiennent du Whisky, de la Volka ou encore du Rhume à très forte teneur. Très prisé par les jeunes et les démunis, l’alcool frelaté fait les dégâts dans le pays…

 Les pistes de l’alcool frelaté

Les 80% de l’alcool frelaté proviennent des pays frontaliers, plus particulièrement de la Sierra Leone. Chaque jour, des cargaisons de ces boissons franchissent les petits débarcadères de Conakry par les pirogues. Les contrebandiers arrivent toujours tard la nuit pour tromper la vigilance des services de sécurité portuaires. Parfois, ils arrivent sur ces quais par la complicité des policiers véreux. « Avant l’arrivée des cartons des boissons, nous informons les chefs de postes auxquels nous remettons un peu d’argent. Quand l’heure arrive, les agents en poste disparaissent. Ils font semblant de prendre une pause… », raconte Camara, un grossiste de « Better-cola ». Ce dernier est installé au port artisanal de Boussoura depuis des années.

Quant à Mouna, une tenancière de maquis dans le même port, elle est ravitaillée tard la nuit par son livreur. « Je suis installée ici depuis 1998. C’était le restaurant de ma grande sœur qui vit aujourd’hui en Australie. Nos commandes viennent de Freetown où nous avons un réseau. Bien qu’on soit ravitaillée la nuit, les boissons que nous recevons sont contrôlées et consommables. Elles ne sont pas périmées ni frelatées. Ce sont des boissons industrielles. Elles sont fabriquées dans les usines », soutient « Sister Mouna ».

D’autres contrebandiers utilisent la voie terrestre. Des camions remplis de fûts de boisons impropres à la consommation passent les frontières sous les regards complices des douaniers, des gendarmes et autres policiers. Prince-Isaac Bransley, convoyeur d’alcool sur la nationale Freetown-Conakry, via Forecariah nous apprend sans hésitation qu’il deale avec les forces de sécurité à la frontière : « nous passons les frontières sans problème. Nous payons de l’argent aux agents aux postes de contrôle. Ils savent que nous transportons de l’alcool ! »

Témoignages et avis des médecins

Dans les hôpitaux, un tiers des malades est composé des alcooliques et autres consommateurs de boissons frelatées. Selon les médecins que nous avons rencontrés lors de notre enquête, il ne se passe une nuit sans qu’ils ne reçoivent des patients en état d’ébriété avancé. « Pas plus tard qu’hier nuit, on a reçu un ivrogne en état d’inconscience. Un homme à moitié mort qui respirait à peine. Ces amis l’ont jeté ici et ils ont disparu après. Nous nous sommes occupés de lui mais hélas ! Il a rendu l’âme au petit matin. Sans parents, on a fait transférer son corps à la morgue. Ces cas sont fréquents ici. En janvier dernier, un jeune fêtard soûl a été transporté ici tard la nuit. Dès qu’il est descendu du véhicule, il s’est mis à vomir du sang. Mes collègues et moi avions réussi à calmer le saignement. Ce n’est que le lendemain que ses parents ont été informés. Les alcooliques qui arrivent ici le très souvent sont accompagnés par leurs amis qui les abandonnent dans nos mains. Un jeune homme d’environ 20 ans a été transporté ici dans un état critique. Il respirait à peine. Abandonné aux urgences par ses camarades, il ne s’est réveillé qu’après 8 heures de sommeil. Inconscient au réveil, il s’est mis nu avant de prendre la fuite. Lorsqu’il a été rattrapé, il a été transféré au camp Samory aux services psychiatriques où il été maitrisé après des injections appropriées parce qu’il nous a été dit que c’était un soldat. Nous vivons ces cas régulièrement. »

Interrogé sur les effets de l’alcool en général et ceux frelatés en particulier, Dr HD. rencontré dans une clinique réputée de la place, nous apprend que l’alcool, en général, a des effets toxiques sur de nombreux tissus et organes. « C’est une intoxication qui altère la conscience, la cognition, la perception et affecte le comportement. Cela entraine une dépendance, caractérisée par la perte de contrôle avec des gestes incohérents. Sans oublier les troubles neuropsychiatriques. C’est-à-dire une diminution de taille du cerveau avec une inflammation des neurones. Il y aussi des maladies de l’appareil digestif. Comprenez par-là, la cirrhose de foie, la pancréatite, l’ulcère et les cancers des voies digestives.  Le plus souvent la goutte pour ne citer que celles-ci. »

Et l’office du contrôle et de qualité dans tout ça ?

Après ce constat sur le terrain, nous nous sommes rendus dans les locaux de la direction de l’Office National Contrôle de Qualité, sise dans la commune Matoto. Interrogé sur l’existence des boissons frelatées et périmées sur le territoire national, le directeur général n’a pas hésité à reconnaitre cette triste réalité qui n’honore pas le pays.

Selon Zakaria Traoré, cela ne date d’aujourd’hui. Les frontières étant poreuses avec la complicité des agents de sécurité à nos barrages, toutes sortes de marchandises y passent, y compris les produits périmés ou frelatés. « Nous combattons ce fléau chaque jour que Dieu fait. Nos agents sont sur le terrain et veillent au grain. Seulement, nous sommes confrontés à des problèmes. Tenez ! Sur le terrain, chaque entité a ses agents de contrôle. Vous parlez de l’alcool ? Les importateurs ou les distributeurs des liqueurs ont un service de contrôle qualité. Ceux qui importent de la bière en ont eux aussi. Des produits alimentaires idem. Lorsque nos agents interviennent, on leur fait savoir que le service interne a déjà procédé au contrôle. Même la viande et le poisson importés, tous ces produits font l’objet de contrôle interne. Du moins, c’est ce qu’on nous fait croire. Aux frontières terrestres, nos agents sont intimidés par les douaniers, les gendarmes et autres policiers en poste. Nous sommes un service national. Nous chapeautons toutes ces entités. Nous devons contrôler après les forces de sécurité aux postes frontaliers. Mais on nous empêche d’évoluer normalement comme il se doit. Toute cette réalité est portée à la connaissance du ministre qui aujourd’hui se bat afin que nous ayons tout le contrôle comme il se doit. Et les jours à venir notre office ferra efficacement son travail pour freiner l’entrée sur le territoire de ces produits impropres à la consommation », a déclaré le directeur général avant d’insister sur le fait que le ministre ait pris des dispositions ces temps-ci pour doter l’office des moyens nécessaires.

Quand les distributeurs, les grossistes et autres détaillants s’accusent mutuellement !

Les marques d’alcool consommées en Guinée sont importées par des Guinéens et des entreprises appartenant aux expatriés. Malheureusement, aucun d’entre eux n’a voulu se prononcer sur le sujet à part quelques petits détaillants qui ont reconnu l’existence de boissons périmées et de l’alcool frelatés dans les lots des produits qu’ils reçoivent le plus souvent. « Ce n’est pas nous ! Allez interroger les importateurs ou bien les grossistes. Nous nous servons à partir d’eux. Ce sont eux qui nous livrent la marchandise. Allez demander aux hindous à Madina ! », nous répond GK, un tenancier de maquis à Yimbaya Tannerie.

Au marché de Madina, les gérants du magasin indiqué, ont refusé catégoriquement de nous répondre sous prétexte que leurs patrons sont absents du pays. « Attendez nos patrons ! Ils sont allés faire les achats sans doute… Revenez dans une semaine ! » Toutes les démarches furent effectuées mais les patrons ne sont toujours pas revenus, nous a-t-on ressassés à chaque passage.

Que dit le patron des Services Spéciaux de Lutte Contre la Drogue et les Crimes Organisés

Interpelé sur le sujet, le colonel Tiégboro soutient que cette nouvelle race de délinquants a toujours été traquée et arrêtée. Malheureusement, quelques temps après, on les retrouve à leurs places. Comme quoi ils sont libérés et récidivent au vu et su de tout le monde. « Que voulez-vous ? C’est une triste réalité qui crève les yeux ! On les traque, mais pour quel résultat ? Les boissons impropres à la consommation, nous partons jusqu’à dans les dédales des marchés, dans les magasins cachés, dans les débits de boissons, dans les petits ports de pêche et dans les quartiers pour rechercher les importateurs, les distributeurs et autres vendeurs. Mais une fois arrêtés et mis à la disposition de la justice, on les retrouve dehors. On n’est pas encouragé… Les gens font tout pour décourager. On est dans quel pays ? », s’est interrogé l’officier de gendarmerie.

On est dans quel pays ? L’alcool frelaté, les boissons impropres à la consommation se vendent en plein air, se consomment et déciment la population au vu et au su de tout le monde. Et cela n’émeut personne !!!

Dossier réalisé par Louis Célestin

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