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Dossier – Guinée : Le journalisme agonise et la presse papier s’effondre

Diagnostic d’une presse au fond du trou : Presse guinéenne, qu’as-tu fait de ta liberté ? Qu’as-tu fait de ton pouvoir, le quatrième ? Peut-on encore te sauver du naufrage ? Ces interrogations des Guinéens et de la plupart des observateurs résultent d’une série de constats alarmants qui mettent en exergue la baisse de la qualité de l’offre éditoriale, la chute continue des ventes des journaux, la passivité des professionnels du secteur et l’apparition d’une nouvelle « race » de journalistes qui rançonnent  à tout vent.

Quinze journaux, dont cinq hebdomadaires, dix mensuels (magazines), tapissent les étagères d’un kiosque à Kaloum, à côté de la Direction Centrale de la Police Judiciaire. Dans ce paysage, la presse hebdomadaire dominait avec 90 % de parts de marché contre 10 % pour les magazines.

Si les lecteurs de la presse écrite ivoirienne ne boudent pas leur plaisir d’avoir une offre éditoriale foisonnante et diversifiée, beaucoup estiment que cette abondance n’étanche pas leur soif d’information, une information de qualité, traitée avec professionnalisme. Et pourtant, ce ne sont pas les journalistes rompus au métier qui manquent dans les rédactions

Un regard en arrière. L’histoire de la presse privée guinéenne est intimement liée à la restauration du multipartisme dans les années 90. Les premiers journaux font leur apparition sur le marché après les journées nationales sur la presse avec la création du Conseil National de la Communication, certains journaux sous la houlette des partis émergents, comme le RPG, l’UNR, le PRP, l’UPG…. L’époque est opportunément baptisée le « printemps de la presse ».

Trente-et-un ans après le « printemps de la presse », dix ans après l’arrivée au pouvoir du Pr Alpha Condé, les professionnels des médias en général et ceux de la presse écrite en particulier ne savent toujours pas à quels saints se vouer. À défaut de saints, les patrons de presse, réunis au sein des associations de même que les journalistes, tiraillés entre mille et une associations, s’en sont remis à la générosité de l’État

En effet, depuis dix ans, les premières subventions ont été accordées en 2001, le gouvernement, en application des dispositions du régime juridique de la presse, alloue annuellement des fonds, dont la vocation initiale est d’appuyer la structuration économique du secteur de la presse. L’objectif premier est de créer les conditions de la viabilité économique des entreprises de presse, gage d’une indépendance éditoriale.

Cependant, le constat est établi que cette manne inespérée n’a pas produit les effets escomptés. Pire, elle semble avoir provoqué un phénomène de dépendance au point d’inhiber, chez les promoteurs d’entreprise de presse, toute créativité managériale et tout sens de l’initiative

Ainsi, depuis 2010, les ventes des journaux  ont  chuté. Selon des observateurs, plusieurs facteurs expliquent ce tableau peu reluisant. On invoque, pêle-mêle, « l’absence de culture de lecture, la baisse du pouvoir d’achat, le taux d’analphabétisme élevé dans le pays, la persistance de la culture de l’oralité, le développement des réseaux sociaux et de la presse numérique, la qualité des informations véhiculées par certains journaux, le caractère partisan de nombreux journaux, etc. »

Pour leur part, les professionnels du secteur, éditeurs de presse, journalistes et divers prestataires du secteur pointent du doigt la féroce concurrence induite par l’explosion de la presse numérique, le phénomène planétaire des réseaux sociaux, les difficultés de la distribution et la fraude dans les réseaux de vente à la criée, matérialisée par la pratique courante de la location des journaux aux lecteurs indélicats dans les bureaux de l’administration et des entreprises et même dans les résidences.

Interrogé, Diallo Souleymane, l’administrateur général  et directeur de publication du groupe de presse « Lynx-Lance » , ne dit pas le contraire. Il est catégorique : « …C’est terrible, la situation que vit la presse ! Elle est frappée par quatre crises superposées sur lesquelles je ne peux pas m’étendre actuellement (il était au volant lorsqu’on l’interrogeait, ndlr)… Nous avons réduit notre tirage…Sinon nous n’avons pas arrêté les parutions. Les deux hebdomadaires continuent de respecter leur périodicité. C’est terrible je vous dis».

A l’entendre, on comprend les difficultés qu’ont les éditeurs et la galère qui s’abat sur les entreprises de presse. Souleymane Diallo, le patron de l’un des plus grands groupes de presse du pays, manque de mots pour expliquer cette crise qui frappe la presse écrite depuis quelques temps.

« La presse écrite est aujourd’hui en crise à cause bien sûr du numérique. Et c’est partout dans le monde. Comment voulez-vous que l’information, relatée à l’instant T par les réseaux sociaux, intéresse les lecteurs d’un journal qui la diffuse après deux ou trois jours ? Les gens sont informés à temps. Ils ne peuvent plus acheter un hebdomadaire qui publie la même information une semaine après. La situation est préoccupante pour nous les éditeurs», s’inquiète Jean-Marie Morgan, l’administrateur de l’hebdomadaire « Le Guinéen » disparu ces derniers mois dans les kiosques.

Quant à Alpha Abdoulaye Diallo, le président de l’Association Guinéenne des Editeurs de la Presse Indépendante, il reste optimiste : « cette crise qui frappe aujourd’hui la presse écrite est passagère…Absolument même pas sur le papier,  format presse écrite demeurera. Pourquoi ? Ni l’invention de la Radio, de la magie du petit écran (la télévision) n’ont pu enterrer la préséance du papier imprimé. Il faut simplement s’adapter à la nouvelle réalité  qu’est l’électronique et de dompter les outils numériques ».   Mais ces éléments de diagnostic suffisent-ils pour justifier les origines du mal qui ronge la presse guinéenne ? À l’évidence, la réponse est plus nuancée !

Ni la culture de l’oralité, ni le taux élevé de l’analphabétisme, qui font partie des pré-requis, ne peuvent constituer des arguments recevables pour expliquer le chaos dans lequel s’est enlisée la presse. Tout au plus, la baisse du pouvoir d’achat du consommateur, si tant est qu’elle est prouvée, peut constituer un facteur favorisant l’effondrement du marché des journaux, à l’instar des autres produits qui ne sont pas considérés comme de première nécessité.

Du reste, le phénomène des réseaux sociaux et la montée en puissance de la presse numérique sont désormais reconnus comme faisant partie des causes majeures de la grande déprime dont la presse écrite, sur le plan mondial, est sans conteste la victime désignée.

Cette chute ininterrompue depuis plus d’une décennie semble malheureusement avoir affecté également et de façon durable la pratique du journalisme, notamment dans ce qu’il a de plus noble et qui en constitue sa force : ses valeurs éthiques et déontologiques, ainsi que son indépendance.

 Le « dieu argent », cette gangrène qui se généralise…

Ramené dans le cadre spécifique de la Guinée, la presse apparaît comme victime de ses propres turpitudes. Deux facteurs, endogènes, expliquent cela. D’abord, l’effondrement du journalisme comme valeur première et cœur de l’activité. Dans beaucoup de rédactions, l’information, qui devrait être la substance des contenus, est traitée de moins en moins avec professionnalisme, rigueur et impartialité

Cela découle du fait que, dans un nombre important d’entreprises de presse privées, les employés sont irrégulièrement et mal payés et, qui plus est, ne bénéficient pas des prestations de la sécurité sociale pour non-versement des cotisations. Cette situation de précarité les expose à diverses tentations. Abandonnés à leur sort par les patrons, nombre d’entre eux trouvent leur salut en vendant leur plume au… diable. Pour ceux-là, les règles sacro-saintes du journalisme ne veulent plus dire grand-chose. Ils s’adonnent, sans sourciller, aux pratiques peu recommandables d’écrire pour ceux qui paient le « taxi », appelés pompeusement per diem. Baptisée neim-neime dans le milieu, la gangrène s’est généralisée au point de devenir la norme

De fait, les éditeurs, souvent, font semblant de verser des salaires, pendant que les journalistes, eux, se font payer par les lieux des reportages.

Ensuite, les éditeurs de presse, les patrons, pour la plupart militants politiques, dépassés par les enjeux économiques et les défis de la gestion, préfèrent se mettre sous un parapluie politique pour échapper aux contraintes de l’entreprise. Leur stratégie se résume à servir ce que désirent les dirigeants et militants de l’écurie politique dont le journal, la radio ou la télévision est proche. L’avantage pour ces médias est de disposer d’une niche de lecteurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs captifs. L’inconvénient majeur est que le média devient finalement le vrai captif de son lectorat politique. Cette stratégie écarte d’emblée la conquête de l’opinion publique, une réserve plus vaste et au potentiel plus consistant

L’absence de volonté de s’inscrire dans une perspective de vrai management et un manque de savoir-faire ont pour effet de raréfier les ressources financières, indispensables aux fonctionnements normaux de l’entreprise. Dans la majorité des cas, les actionnaires, très souvent des politiques, rechignent à mettre la main à la poche pour résorber les déficits.

Certes, tout n’est pas noir et de timides essais de mise en place de modèles de gestion rationnelle existent. Cependant, la santé de la presse guinéenne est dans un état de dégradation si avancé qu’il faudra plus que des subventions ou des réformettes isolées pour la sauver d’une mort programmée.

L’indispensable sursaut collectif doit aboutir à une réhabilitation totale du journalisme et un assainissement de l’environnement économique des entreprises de presse. Condition sine qua none de la restauration de la presse dans son statut de quatrième pouvoir. Une vraie gageure !

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