Le domaine public maritime guinéen est plus en plus en proie à des agressions à la fois menées par des citoyens que l’Etat. Sans cesse, ils continuent irrésistiblement à repousser la mer pour y pousser des immeubles ou autres infrastructures tant à usage commercial qu’industriel. Une situation bien malheureuse qui n’est pourtant pas sans conséquences pour notre écosystème.
La République de Guinée a un littoral de plus de 300 kilomètres, s’étendant depuis les promontoires du Cap Vergas, frontière Bissau-guinéenne jusqu’à la Pointe de Salatou, à la frontière Sierra-léonaise. Avec une importante frange côtière avec des forêts de mangrove, des plages, des vasières et des zones d’importance humides qui méritent d’être protégées pour plusieurs raisons. En ce sens que ces forêts de mangrove constituent un véritable jardin d’enfants pour les poissons qui viennent y pondre, élèvent leurs petits avant de rejoindre la haute mer. Autant dire que sans ces mangroves, les poissons et d’autres espèces halieutiques n’ont pas où se reproduire et se développer.
Sur cette frange côtière, beaucoup de choses se passent désormais. Les estuaires qui régularisent la zone intertidale comprise entre le continent et la mer sont fortement menacés. Or, ce milieu géophysique joue énormément vital en matière d’agriculture et de pêche.
Très malheureusement, le constat révèle que ces zones sont devenues des aires où construit, généralement en violation flagrante des normes environnementales et de celles d’urbanisme, des immeubles et autres infrastructures. Le cas de la capitale Conakry est une illustration patente de cette occupation sauvage du domaine public maritime.
Etat des lieux
A cela, s’ajoute la pollution pélagique due aux bateaux qui atteignent les eaux marines guinéennes et qui, parfois, y lâchent des milliers de tonnes d’eaux de ballast afin de pouvoir faire une bonne navigation. Ce qui, de l’avis des experts du domaine, n’est pas sans conséquences.
« Puisque ce sont des hydrocarbures mélangés à l’eau qui sont rejetés dans la nature. Et c’est notre agrément touristique qui est dégradé. Parce qu’un litre d’hydrocarbure sur la mer fait au moins 1 kilomètre carré. Ces eaux viennent sur les larges de nos côtes. Et il y a une fine pellicule qui se forme. Alors, tout le rayonnement solaire qui tombe sur la mer est réfléchi. Donc, il n’y a pas d’oxygénation de l’eau. Conséquences : soit les poissons meurent, soit ils quittent. Donc, c’est vraiment incompatible. Il faut que l’environnement veille à la gestion de ce milieu marin. C’est pourquoi il y a un service qui s’occupe de la prévention des pollutions en milieu marin et en milieu côtier. Voilà un peu la situation, que ce soit la pollution venant de la mer ou du continent, le milieu marin est une zone qui mérite d’être protégée », nous confie un cadre du ministère de l’Environnement, requérant l’anonymat. Et d’ajouter :« ces hydrocarbures peuvent aussi percoler. Ils se précipitent vers le fond marin. Et dans le fond marin, tous les poissons plats : les crabes, les calamars, les fruits de mer, les raies, sont là. C’est leur habitat à eux aussi. Parce qu’il y a une écologie, à chaque étage, il y a une espèce qui vit là. Donc, c’est une perturbation de l’écosystème marin. On ne doit pas toucher à ce milieu ».
Quid du respect de l’intégrité des espaces naturels
A Conakry, on n’a pas besoin de jumelles pour s’apercevoir que l’édification des ouvrages, des cités dans le domaine public maritime se fait de façon effrénée. Le constat le long des corniches nord et sud de la capitale le prouvent éloquemment. Or, il reste établi que lorsqu’on repousse la mer d’un côté, elle progresse vers les côtes adjacentes, de l’autre.
Dans un passé relativement récent, l’impact des Résidences 2000 s’est fait ressentir sur l’écosystème des îles Kaback où d’importants dégâts matériels ont été enregistrés dans cette localité relevant de la préfecture de Forécariah. Comme ne tirant les leçons du passé, les autorités guinéennes viennent d’annoncer l’implantation – vers le front nord de la côte guinéenne – d’une usine de raffinerie de sucre, d’huile de palme, d’arachide, de soja et de mayonnaise au Petit Bateau, dans le quartier Coronthie, à Conakry.
Selon le ministre d’Etat, conseiller spécial du président de la République, par ailleurs ministre de l’Industrie et des PME, Tibou Kamara qui l’a annoncé le 25 février dernier, cette unité industrielle qui sera installée au niveau du port de pêche d’où partent les bateaux à destination des îles Sorro, Tamara, Room, Kassa et Fotoba, va voir bientôt le jour avec une capacité de production de 50 tonnes par jour. Ce qui représente une autre agression contre le domaine public maritime.
En ce sens qu’une raffinerie au bord de la mer, a forcément une incidence sur l’environnement, au même titre que les produits pétroliers ont un impact très ravageur sur l’espace marin. D’où la nécessité de mener de sérieuses études d’impact environnemental. En outre, une évaluation environnementale stratégique pour prendre des dispositions qui y conviennent afin que la mer ne soit pas polluée, s’impose impérativement. C’est la même chose que les plateformes pétrolières qui opèrent en mer.
Ici, le visiteur est désagréablement surpris par le remblai érigé sur le site où on repousse la mer. Une incidence d’autant plus grave que l’on est perplexe face à cette décision, surtout que le site devant abriter cette unité se situe aux abords d’une grande agglomération urbaine.
« C’est extrêmement inquiétant! Pourquoi ne pas délocaliser cette usine en chantier dans les zones industrielles de Coyah et Dubréka? », s’interroge-t-on dans la cité.
Et à propos, le ministre de tutelle, Tibou Kamara, reconnait qu’il y a des zones industrielles qui ont été attribuées pour favoriser l’implantation d’unités industrielles. Puisqu’estime-t-il, « on ne peut pas parler de Politique industrielle sans zone industrielle ». Ce qui sous-tend que le pays ne peut aspirer se doter d’industries s’il n’a pas de domaines où les implanter.
L’Etat face à un dilemme
Selon le ministre d’Etat, ministre de l’Industrie et des PME, il y a aujourd’hui une forte demande d’entreprises « sérieuses » qui veulent s’installer en Guinée et y créer des unités industrielles. « Mais, nous n’avons pas où les implanter. Vous voyez le paradoxe entre l’engouement pour l’industrialisation manifestée au sommet de l’Etat, la volonté de plus en plus d’entrepreneurs qui font confiance à notre pays d’y installer des industries. Mais, nous n’avons pas une structure d’accueil qu’on appelle zone industrielle où on peut les implanter », avoue le conseiller spécial du président Alpha Condé, qui se félicite du fait que le chef de l’Etat ait « fait de l’industrie et de l’industrialisation un secteur prioritaire, et ait pris à bras le corps le problème ».
Conscient de l’occupation anarchique des zones réservées, Tibou Kamara soutient qu’aujourd’hui Alpha Condé aide à sécuriser les zones industrielles, à trouver les moyens d’aménager, de ceinturer ces zones, de manière à ce qu’elles soient protégées de l’occupation anarchique et souvent arbitraire des populations qui estiment que toute terre vide mérite d’être occupée sans se poser trop de questions.
« Nous avons beaucoup de situations comme ça où les populations viennent investir les zones industrielles et nous mettent face à un dilemme. Parce que nous avons besoin de ces zones pour l’implantation des unités industrielles dont l’intérêt pour le pays se passe de commentaires. C’est un problème de fond, parce que lorsque les populations s’installent, vous voulez les déguerpir, on dit que l’Etat fait des abus ou ne tient pas compte de la dimension humaine et essentielle dans notre philosophie de vie sociale. Et si vous restez comme ça, on dit qu’il n’y a pas d’Etat, qu’il n’y a pas d’autorité et on vous rend impuissant face à la nécessaire action pour notre bonheur commun. Est-ce que pour quelques personnes, on va priver le pays d’un intérêt économique majeur et nos jeunes et femmes, d’une perspective d’emplois ambitieuse ? Voilà la question à laquelle nous devons répondre. Parce que souvent on accuse l’Etat de ne pas créer les conditions pour permettre l’emploi. Mais par notre mentalité, par nos actes et nos comportements, on essaie souvent de freiner l’Etat dans cette volonté d’apporter des réponses claires aux questions que nous posons », regrette le ministre d’Etat.
Conakry souffre de l’urbanisation sauvage
A défaut de délocaliser l’usine de raffinerie annoncée, il y a lieu de songer au déplacement des populations qui ne sont pas trop loin de là, ou du moins d’instaurer des plans d’urgence pour l’évacuation de ces populations en cas de catastrophes. Car, non loin de là, il y a l’APT, le siège des hydrocarbures. Ce sont là des bombes au cœur de la capitale qui n’a qu’une seule entrée terrestre.
A l’allure où vont les choses, si on préfère les villes aux acquis naturels, on peut prédire que le pays risque de perdre ses potentiels agricole, touristique, minier et écologique qui sont appelés à disparaitre. L’Etat est donc interpellé. Et avec la construction multiple des ports miniers le long de l’Atlantique, sans évaluation environnementale sérieuse ou rigoureuse, la Guinée, dans un futur proche, va être exposée à beaucoup de dangers.
Vivement le respect des textes de lois relatifs à la protection des domaines publics maritimes en Guinée.