Se rendre dans les abattoirs et renoncer à la consommation de la viande. L’odeur nauséabonde qui accueille le visiteur semble être un avertissement et il ne s’agit pas seulement de l’effet bouse de vache. C’est à même le sol que les bœufs et les moutons sont égorgés dans le sang séché et les déjections mal nettoyés de la veille. La viande est traitée dans à même le sol sur des bâches où stagne l’eau dédié au nettoyage de la viande fraîchement découpée. Les agents passent d’une salle à l’autre sans nettoyer leurs bottes quand ils ne travaillent pas nu-pieds. Le risque de contamination de la viande est réel surtout que certains revendeurs ont accès aux zones d’abattage pour choisir, selon eux, la meilleure des carcasses.
Cette enquête pourrait vous dissuader de consommer de la viande rouge à cause des carences récurrentes en matière hygiénique et sanitaire. Elle intéresse des millions de consommateurs dans la mesure où ces abattoirs sales affectent de manière conséquente la qualité des viandes.
Des abattoirs insalubres
« Si les populations de la capitale venaient voir dans quelles conditions la viande qui arrive dans leurs assiettes était traitée, je suis sûr qu’ils n’auraient plus le cœur à la viande », se désole Mohamed Lamine Bangoura, cadre à la Banque Centrale de la République de Guinée.
Cet habitué de « l’abattoir » de la Forêt de Kakimbo dit se déplacer sur le site pour se ravitailler afin d’éviter les intermédiaires qui augmentent le prix au kilogramme de viande sur les marchés. Cependant, il supporte encore mal le manque d’hygiène qui se manifeste « au sens le plus élémentaire du terme par l’utilisation de l’eau sale qui ruisselle dans le lit du bras de mer au cœur de la forêt classée de Kakimbo et des poubelles mal entretenues ou inexistantes qui favorisent la prolifération des mouches ».
Et ce qui nous a été donné de voir sur ces espaces d’abattage de bœufs, de moutons, de petits ruminants et de leur vente, prouve à merveille ce constat de ce client: les mouches, les insectes et autres rongeurs y prolifèrent. Ainsi, malgré les efforts de modernisation, les abattoirs de Conakry inquiètent toujours en raison de la grande insalubrité qui y règne. Une inquiétude pour les consommateurs car ces abattoirs alimentent les marchés de la capitale guinéenne et sa périphérique à plus de 80% en viande.
Il faut aussi noter que la distribution de cet aliment hautement périssable n’a pas de cahier des charges. Les véhicules de transport frigorifique font largement défaut. Plus grave, ces engins ne sont soumis ni au contrôle sanitaire ni à l’examen de la visite technique. L’implantation des abattoirs pose aussi un problème de santé publique: ils ne sont pas excentrés par rapport aux zones d’habitation. Avec les risques induits par le traitement et l’évacuation des déchets. Un vrai film d’horreur où les opérateurs se déplacent entre le secteur propre et souillé sans se désinfecter.
Les murs et sols ne sont pas, non plus, conformes aux cahiers des charges: résistance, imperméabilité, désinfection. Cerise sur le gâteau: La plupart de ces abattoirs visités ne sont raccordés aux réseaux d’eau potable, d’électricité et d’assainissement. L’approvisionnement d’eau se fait parfois à partir de puits non contrôlés, et des eaux stagnantes des bras de mer. Si les hommes et leur milieu sont si sales, qu’en est-il du matériel? Crochets, rails et treuils pour la manutention des carcasses souffrent d’une importante oxydation. Rouillés en fait comme la filière.
Des entraves d’ordre sécuritaire dans le transport du bétail
Rappelons aussi que la Guinée n’est toujours pas auto-suffisante en protéine animale, notamment la viande de gros et menu bétail. L’essentiel de son approvisionnement vient de l’intérieur et très souvent des pays voisins tels que le Mali et le Sénégal. A défaut du train, le bétail est convoyé par la route ; un trajet assez long et coûteux mais surtout parsemé d’entraves d’ordre sécuritaire et la présence du racket des forces de l’ordre.
L’essentiel du bétail qui arrive à Conakry est acheminé vers les abattoirs et autres points de vente. Des centres névralgiques du commerce de bétail et de viande où sont abattus chaque jour entre 150 et 250 bœufs et une moyenne de 300 moutons. Ces chiffres grimpent à l’occasion des célébrations de la Tabaski et du Ramadan. Pour chaque bœuf abattu, le Gouvernorat de Conakry perçoit une somme. Ce montant s’élève chaque fin de mois à quelques millions de francs guinéens! Pour des espaces économiques aussi rentables, l’hygiène est quasi absente.
Au ministère de l’Elevage, On apprend que des agents sont commis sur le terrain pour le contrôle des entretiens des abattoirs. Difficile d’y croire avec autant de déchets constatés dans les abattoirs et des lieux d’abattage.
Un agent d’assainissement qui se présente à nous sous le nom de Boubacar Diallo indique que l’hygiène dans les abattoirs est « l’affaire de tous, du ministère d’Elevage aux rôtisseurs ». Cependant, les mauvaises habitudes ont encore la vie dure sur les sites. Il déplore notamment le fait que des bouchers déversent le sang et d’autres déchets dans les artères des abattoirs. Il est de même pour les revendeurs de trippes qui vident intestins et estomacs dans des espaces qui ne sont pas appropriés.
Pour Diouldé Sow, un membre de l’Union des bouchers guinéens, les abattoirs sont des endroits pourris.
Fort de ses 25 ans dans le secteur de la boucherie, Alimou Korka estime qu’à ce jour, la Guinée n’a pas d’abattoir moderne et le transport de la viande se fait dans de mauvaises conditions. Les carcasses sont transportées dans des véhicules en commun dont les coffres sont tapissés de nappes plastiques. A défaut il faut composer avec les charretiers ou même de simples détenteurs de brouettes.
L’abattoir moderne promis par l’Etat se fait toujours attendre
La traçabilité de la viande consommée sur les marchés ne consiste pas seulement à veiller à ce que le bétail qui entre à Conakry soit bien portant. Il consiste aussi et surtout à veiller à ce que la viande qui atterrit dans les assiettes du consommateur soit aussi saine. Et pour arriver à rassurer chaque guinéen, le membre de l’Union des bouchers préconise un investissement axé sur trois chantiers. Premièrement, l’amélioration des conditions d’hygiène au niveau des abattoirs par la formation du personnel, pour assurer un contrôle de qualité plus strict, la construction d’espace d’abattage moderne et couvert, sans oublier la professionnalisation du transport de la viande par des entreprises pouvant proposer des véhicules frigorifiques homologués.
Au département de l’Elevage où nous nous sommes rendus, on nous apprend que depuis la démolition de l’abattoir de Coléah, le gouvernement a choisi un nouveau site pour la construction d’un autre abattoir très moderne avec des équipements de dernière génération. « Les gens parlent et dénoncent les abattoirs de fortune installés dans les quartiers. Mais nos éléments sont toujours sur le terrain ! Le contrôle se fait au quotidien ! Les abattoirs dont vous parlez, sont installés clandestinement dans des zones inaccessibles. Et le gouvernement a donné l’ordre de les fermer. C’est cette lutte que nous menons chaque mois…Les abattoirs sont entretenus, mais vous savez l’indiscipline chez nous ! Les bouchers ne respectent rien…Mais soyez rassurés. Nous allons sévir », promet un cadre du ministère de l’Elevage avant de nous donner rendez-vous pour une visite guidée les jours à venir.
Une enquête réalisée par Louis Célestin