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Diplomatie Guinée-Sénégal : Macky Sall réélu, les dessous d’une brouille

Dimanche, 24 février 2019, les Sénégalais ont voté, pour réélire, Macky Sall, élu président sept ans plus tôt, pour son premier mandat.

Le duel tendu entre Macky Sall et le président de la Guinée, Alpha Condé, est du déjà vu avec les pères de l’indépendance des deux pays.

Les rivalités entre les deux présidents en exercice, ont pris la forme d’un règlement de compte, et se sont invitées dans la campagne électorale sénégalaise.

Il y a eu un précédent à cela avec la présidence des premiers présidents guinéen, Ahmed Sékou Touré et sénégalais, Léopold Sedar Senghor.

Entre la Guinée et le Sénégal, ça n’a jamais été le parfait amour, et il serait un peu exagéré de parler d’excellents rapports de bon voisinage ou des rapports au beau fixe.

Depuis leurs indépendances respectives, les deux pays voisins, ont traversé des épisodes, de brouilles politiques, diplomatiques, de suspicion et de frictions enchaînées.

Et pourtant, entre les peuples sénégalais et guinéen proprement dits, il n’y a jamais eu de problème majeur.

Les désaccords entre les deux pays ne sont le résultat ni de disputes territoriales, ni de frictions, après des matchs de football, par exemple, comme c’est le cas entre quelques pays africains, avec des fans, fous de football.

Un petit rappel historique est nécessaire pour mieux comprendre les problèmes actuels.

Remontons à la période coloniale, quand Dakar, la capitale sénégalaise, était la capitale de l’Afrique Occidentale Française. Les colons français y avaient fait abriter les institutions nécessaires au fonctionnement d’une bonne administration coloniale (écoles d’instituteurs  William Ponty, et école d’infirmières, à Rufisque, entre autres).

Les huit autres colonies françaises étaient dirigées à partir de cette ville qui avait de facto ce petit avantage.

Sur le plan économique, des huit colonies, la Guinée et la Côte d’Ivoire faisaient figure de pays mieux lotis que le Sénégal qui ne produisait, pratiquement que de l’arachide.

Avant la découverte très récente du pétrole, le sol et le sous-sol sénégalais n’avaient pas grand chose à offrir.  

Par contre, la Guinée, à la veille de l’indépendance, était le pays le plus prometteur pour son avenir économique.

Principale exportatrice de mangues, de bananes, d’ananas, d’oranges vers la métropole (bien avant les Antilles françaises), le pays était très riche en bauxite, fer, or, diamant.

Abondamment arrosée, la Guinée était avec ses cours d’eau et ses immenses ressources du sous-sol, celle sur laquelle, tout le monde pariait pour voir un décollage économique rapide.

L’indépendance acquise, le Sénégal était confronté à la perte d’influence, celle qu’il n’avait pas imposée aux autres, mais dont il profitait largement à cause de la présence de l’administration coloniale sur son sol. Il fallait garder jalousement cet acquis.

De l’autre côté, Ahmed Sékou Touré, accède au pouvoir en Guinée après un « Non » au référendum du général De Gaulle en 1958.

Le Sénégal quant à lui,  proclame la sienne en 1960, et Léopold Sédar Senghor en devient président.

Tout sépare les deux hommes qui se proclament tous, d’un certain socialisme africain : le premier Sékou Touré, syndicaliste de son état, est prosoviétique, malgré lui, l’autre Senghor est agrégé de lettres et affiche son attachement à la France et à sa culture sans mesure.

En tant que membre du Conseil de Sécurité, la France bloque alors la Guinée sur le plan international, sabote sa nouvelle monnaie, rapatrie ses instituteurs et techniciens, refuse de reconnaître son régime et privilégie ses rapports avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui ont voté « Oui » pour rester dans la communauté française.

Les tensions naissent dès le début et désormais, c’est le principe mathématique, qui veut que l’ennemi de mon ennemi est mon ami, qui régit les rapports entre les deux pays africains voisins.

La Guinée se tourne vers le Ghana, de Kwame NKrumah, de l’Union Soviétique, de la Chine, de Cuba et bien sûr de son voisin immédiat le Mali, alors dirigé par Modibo Keita.

Le Mali venait de divorcer avec le Sénégal de la même Fédération.

Dans les années 50, la France avait prévu de construire en Guinée, le Konkouré, le plus grand barrage hydroélectrique de la sous-région et de faire une aluminerie, à Fria pour servir uniquement ses intérêts coloniaux industriels.

Ces grands projets n’ont pu voir le jour à cause du référendum de 1958. La France décide alors de faire de la Côte d’Ivoire son miroir et modèle de réussite économique, le pays disposant d’immenses potentialités économiques, comme la Guinée. Sékou Touré s’allie à Modibo Keita, du Mali pour combattre ceux qu’il nommait « les fantoches Houphouët-Boigny et Senghor ». Ceux-ci sont considérés par le régime de Conakry comme des valets de l’impérialisme et du colonialisme.

Cette période, était aussi, celle des grands slogans et des beaux discours fleuves, du côté des révolutionnaires guinéens.

Ahmed Sékou Touré et Modibo Keita déclarent solennellement, que « le Mali et la Guinée étaient deux poumons d’un même coeur ».

Au sortir du système colonial, Senghor ne bénéficie pas de gros investissements de la part de la France et de retombées financières, comme son homologue ivoirien, qui voit arriver d’investissements massifs et commence à enregistrer un boom économique.

Senghor mise donc sur les ressources humaines du pays et sa réputation à l’international.

Malgré des débuts un peu difficiles avec le premier ministre, Mamadou Dia, il arrive à instaurer un minimum de démocratie et à assurer une certaine stabilité politique.

Pendant que Sékou Touré s’attardait à emprisonner ses élites au Camp Boiro et d’autres camps de tortures, Senghor lui, cherchait à instaurer un havre de paix et de stabilité dans son pays. Ce qui lui valu une admiration et une reconnaissance internationales.

Le Sénégal,  contrairement à beaucoup de ses voisins, ne connut aucun coup d’Etat. Il se montra assez mature et refusa de basculer dans les conflits ethniques et d’ériger l’ethnocentrisme, comme système de gouvernance, comme chez certains de ses voisins immédiats. Toutefois, il avait le problème de la Casamance sur le dos !

Le  festival des arts nègres, la promotion des compétitions sportives comme le rallye Paris-Alger-Dakar, l’organisation des sommets de hauts niveau, permettent d’aider à l’ouverture à l’extérieur et de mieux se positionner. De simples gestes qui paraissent insignifiants, mais qui allaient porter fruits plus tard.

Le prestige acquis à cause de « l’Exception Sénégalaise »

fait de Dakar, un grand centre d’opérations pour les activités des multinationales en Afrique de l’ouest. De grands groupes de presse anglo-saxons, désintéressés pourtant par l’Afrique, établissent leurs sièges. Le FBI (federal bureau of investigation) américain opère même de là pour les pays dans la sous-région.

Le Sénégal devient l’un des pays les mieux représentés de tous les pays africains, dans les institutions internationales notamment, les Nations Unies, la francophonie et les organisations islamiques, la BAD (banque africaine de développement) à cause de la promotion de ses cadres à l’extérieur.

C’est ainsi que Amadou Mahtar Mbow devint directeur général de l’UNESCO pendant de nombreuses années, Jacques Diouf à la FAO, Abdou Diouf à la     Francophonie pour ne citer que ceux-là.

Ces hauts fonctionnaires internationaux contribuent au rayonnement de leur pays.

Chez le voisin du sud, c’est l’échec de la révolution dès les années 70.

Un grand nombre de guinéens, quittent la Guinée pour s’établir dans les pays voisins, notamment, au Sénégal. Sur l’étendue du territoire, il y a des purges, à l’image des régimes staliniens.

Les désaccords se multiplient entre Ahmed Sékou Touré et Senghor, -détériorations pouvant s’expliquer par les considérations idéologiques et le contrôle de certaines institutions comme, l’OMVG (organisation de la mise en valeur du fleuve de la Gambie) et le fleuve Sénégal dans leur stratégie de domination sous-régionale. L’accueil des exilés anti-Sékou Touré, y contribue aussi.

Cette première brouille s’accentue et perdure, jusqu’en, mars 1984, date à laquelle, le président du Liberia, Tolbert mène la réconciliation, entre le Sénégal, la Côte d’Ivoire et la Guinée.

Le président Sékou Touré cesse dès lors d’accuser le Sénégal d’abriter des bases d’entraînement contre son régime.

Ayant une certaine admiration pour les intellectuels et les hommes de lettres, Senghor avait accueilli de nombreux  opposants et intellectuels qui y avaient trouvé refuge ; parmi eux, les écrivains Camara Laye, Ray Autra. Malgré la fin des hostilités, la vaste majorité des exilés guinéens reste et s’y établissent définitivement, profitant de la Teranga Sénégalaise .  

Cette communauté s’élèverait à un million de personnes aujourd’hui, selon des sources non vérifiées.

Quant à la communauté sénégalaise en Guinée, elle serait de moindre importance, mais y a été présente depuis le début du vingtième siècle. À Conakry par exemple, la communauté s’est construite autour de la mosquée sénégalaise, à Kaloum. Des artisans sénégalais ont aussi toujours dominé le secteur de la joaillerie, des objets d’art et dans la petite restauration.

À la fin de son deuxième mandat, comme secrétaire général de l’OUA (organisation de l’union africaine) en 1972, le président Senghor avait offert l’asile au Guinéen, Telly Diallo, mais ce dernier avait décliné l’offre et était revenu servir la Révolution. Le tristement célèbre Camp Boiro l’attendait comme Senghor le craignait. Et il avait raison.

Telly Diallo meurt de privation d’eau et de nourriture, de torture, comme la plupart des intellectuels guinéens.

Après la normalisation de 1978, les relations s’étaient  pratiquement vite développées et le commerce s’était vite accru, notamment les exportations de pommes de terres guinéennes et fruits vers le Sénégal. En contrepartie, les commerçants guinéens ramenaient des produits manufacturiers.

En 1980, Senghor démissionne au Sénégal et quatre ans plus tard, c’est le premier président guinéen, qui meurt, à Cleveland, aux États-Unis d’Amérique.

Abdou Diouf, devient le chef de l’Etat.

La présidence du général Lansana Conté qui succède à Sékou Touré en Guinée se passe sans problème majeur, même si Conté privilégie les relations avec la Guinée-Bissau du président Nino, dont il  était ami personnel.

L’arrestation de l’opposant Alpha Condé en 1998, accusé de rébellion est dénoncée par son avocat sénégalais Maître Boucounta et la presse sénégalaise dans son ensemble. Malgré cet épisode les relations n’avaient pas été tant envenimées, comme au temps des deux pères de l’indépendance.

Les deux successeurs de Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, eurent des relations plus apaisées avec le régime militaire en Guinée sous Conté.

Abdou Diouf n’était plus président quand Alpha Condé accède au pouvoir en 2010. C’est Abdoulaye Wade qui était là et en ce moment, il songeait à modifier la constitution, pour un 3ème mandat avant que des manifestations n’éclatent avec le mouvement citoyen sénégalais,  « Y’en a Marre ». Une situation semblable à ce qui se passe actuellement en Guinée, la différence étant qu’au Sénégal, Abdoulaye Wade qui est reconnu pour sa ténacité, à aller jusqu’au bout, avait compris, qu’il fallait céder à temps.

Durant le mandat de Maître Wade, la Guinée avait connu sa petite parenthèse, du capitaine Moussa Dadis Camara. Ce dernier en mal de reconnaissance internationale avait contacté son “Papa Wade”, pour plaider sa cause, auprès de la communauté internationale qui cherchait à isoler le bouillant capitaine guinéen en 2009.

En tant que secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, pèse de tout son poids pour faire valider l’élection de Alpha Condé et de justifier le retard de quatre mois entre les deux tours des élections guinéennes.

Abdou Diouf avait nommé à cet effet pour la première dans l’histoire de tout pays souverain, un étranger en l’occurrence le général malien Toumany Sangaré pour présider aux destinées de la commission nationale électorale (CENI).

Avec Macky Sall, arrivé aux affaires presqu’au même moment que le président guinéen, les choses vont se passer, assez différemment et les tensions allaient vite s’étaler au grand jour.

Faut-il signaler que l’une des toutes premières décisions de Lansana Kouyaté, avant dernier premier ministre de feu Lansana Conté en 2008 fût d’arrêter les exportations des denrées alimentaires, notamment la pomme de terre vers le Sénégal, premier débouché pour les producteurs guinéens. 

Son argument était qu’il fallait d’abord assurer, l’autosuffisance alimentaire de la Guinée, avant d’en exporter. Quoi de plus normal.

Seulement, l’argument ne tient pas car l’autosuffisance était déjà assurée pour cette denrée, contrairement aux besoins en riz (la denrée par excellence de consommation dans les deux pays).

La mesure fait plutôt mal aux producteurs guinéens, qu’aux consommateurs sénégalais qui se ravitaillent ailleurs.

L’apparition de la fièvre Ebola, mettra à l’épreuve, ces relations sensibles.

La décision de fermer les frontières sénégalaises, est mal perçue, par les autorités guinéennes, qui se demandaient, où était la solidarité africaine dans tout cela.

Pour les autorités sénégalaises qui n’ont pas été trop tendres envers la Guinée, ce n’était qu’une mesure de prévention afin qu’une maladie contagieuse ne parvienne à gagner du terrain chez eux. C’était en 2014.

À cause de la même fièvre Ebola, la compagnie aérienne, Emirates, suspend à son tour ses vols en direction de Conakry.

Or, un aéronef loué par un mauritanien qui dirige une franchise de Brinks (une compagnie de sécurité et convoyeur d’argent), a une cargaison d’argent à transporter et c’est Emirates qui devait chercher ce cash à Conakry.

La cargaison arrivée à Dakar est saisie. Sa valeur est estimée à  près de 7 millions de dollars, (soit environ 4 milliards de FCFA).

Le montant saisi est suspecté appartenir à la présidence guinéenne. Le président Mack Sall informé attend quelques semaines, avant de relâcher l’argent vers Dubai. Le temps de maints démentis de la banque centrale guinéenne, qui finira par avouer qu’elle était celle qui avait convoyé les montants .

Le feu vert est autorisé par les autorités sénégalaises, après les garanties et justifications guinéennes.

Cette saisie n’est pas du goût du président Alpha Condé qui se sent vexé par l’attitude de « son petit frère », Macky Sall.

L’acte fait plus mal au président Condé que la fermeture des frontières, pour cause d’Ebola.

A partir de là pour M. Condé, il fallait casser tout ce qui était du Macky Sall, y compris en s’ingérant dans les affaires intérieures du Sénégal en pleine campagne électorale. Il se murmurait même que c’est Alpha Condé qui aurait financé la campagne de Kalifa Sall qui avait gagné la mairie de Dakar avant que Macky Sall ne lui « tue » politiquement, car accusé de malversation financière an prélude à l’élection du 24 février 2019 dont les résultats viennent de lui être favorables.

En 2018, le président Macky Sall abrite une réunion, de l’international libérale. Les présidents Ouattara, Weah du Liberia, de Gambie et le leader de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo, sont conviés. Ce dernier participe, comme vice-président de cet organisme libéral et le président guinéen voit de mauvais oeil, le rapprochement entre le Sénégal et un chef d’un parti politique opposé à son régime.

Il faut souligner que depuis le renversement de Blaise Compaoré au Burkina, le président guinéen ne se sent pas trop proche de ses voisins immédiats.

Alpha Condé se sent plus proche par contre, des présidents du Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, et de celui de la Guinée Equatoriale Nguema que des présidents Sall, Ouattara ou des autres chefs d’Etat dans la sous région, exceptés peut être, d’Ibrahima Boubacar Keita, du Mali, qui est son ami.

À la veille des élections sénégalaises, de ce mois de février, Alpha Condé, envoie un jet privé chercher l’ancien président, Maître Wade, qui avait invité quelques jours plutôt les Sénégalais au boycott  et sabotage du scrutin, comme son fils n’était pas retenu, pour faire partie des candidats retenus. Wade au contraire, voulait donner des consignes de vote pour faire battre Macky Sall.

Officiellement, les autorités guinéennes disent qu’il est à Conakry pour qu’on lui demande d’éviter la violence électorale, officieusement, tout le monde sait que c’est pour affaiblir le président-candidat, qu’il suspecte de soutenir son principal opposant, Cellou Dalein. Mais certaines sources non officielles rapportent que qu’au delà de l’aspect politique, Wade était venu à Conakry pour faciliter l’ouverture très prochaine des bureaux de son fils Karim Wade, à Conakry !

Le hasard du calendrier fait que Cellou soit à Dakar lors des derniers jours de la campagne, mais en tant qu’observateur, de l’International Libéral.

Wade l’avait reçu, dans son domicile parisien, de Versailles en 2017, et rien ne l’opposait jusque-là à l’opposant guinéen.

Suivant de près l’évolution de la politique de son client, Cellou Diallo, en Guinée, l’avocat El Hadj Diouf, a déclaré, récemment qu’ « Alpha Condé était pire que Laurent Gbagbo ». Des propos de nature à ne pas apaiser les relations tumultueuses

entre les deux leaders et qui signalent qu’un apaisement politique, semble être une perspective lointaine.

Avec la réélection de Macky Sall pour les cinq prochaines années, nul ne sait avec exactitude ce qui arrivera entre les deux présidents.

Si le Sénégal a bouclé ses élections et peut se tourner vers l’exploitation des puits de pétrole découverts et continuer avec son plan « Sénégal Émergent », tel n’est pas le cas de la Guinée où de nombreuses incertitudes demeurent avec les élections, la succession du vieillissant président Alpha Condé.

Le mauvais départ pris par la Guinée après l’indépendance semble la rattraper plus de 60 ans, après avoir accédé à sa souveraineté.

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