Sans être archicomble, la salle du Palais des sports du 28 septembre était pleine à déborder jusque devant l’entrée, il n’y avait aucune place assise. Le silence et la solennité de l’instant étaient dignes de la sagesse et du recueillement. Il y avait aussi quelques rares gars du deuxième âge, qui parlaient comme s’ils avaient vu Kandia sur un terrain de football. Il faut dire et souligner qu’on est jaloux de cette époque et qu’on ne permettra à personne de fabuler, d’affabuler et de devenir mythomane pour les jeunes générations.
Nous, nous n’avons pas connu un Ibrahima Kandia Diallo, nous avons connu un Diallo Ibrahima Kandia. Ceux qui se complaisent et qui s’évertuent à parler de l’inverse renversent l’histoire par méconnaissance.
Anecdote : Un jour, en plein marché de Madina, on a entendu une voix de femme crier éperdument dans la foule dense et compacte: « Sidibé Moussa ! Sidibé Moussa, hèè ! ». Un compagnon me dit : « Qui t’appelle localement comme ça ? Et il me dit de ne pas me retourner. Je lui répondis que celle qui m’appelle ainsi me connait mieux que lui. C’était une femme d’aspect paysan avec un grand paquet de machin sur la tête. Elle a déposé son fardeau et s’est jetée à mon cou avec enthousiasme, elle avait du poisson : « Tu ne me reconnais pas, c’est moi… et elle se retourna vers une demoiselle moderne, de classe, parfumée et ses lunettes : Salue ce Monsieur, il aurait du être ton père. Je lui ai préparé du riz de sable »… La foule nous observait avec intéressement.
Cela est pour dire que ceux qui parlent de Kandia pour l’appeler « Monsieur but » doivent parler de Diallo Ibrahima Kandia, Monsieur but. Chose importante à souligner, les personnes de 50 et 55 ans ne l’ont pas vu sur un terrain. Malheureusement, on a entendu des personnes moins âgées parler doctoralement de lui. La tradition orale a bien des côtés pervers…
Dans les témoignages des différents intervenants lors de ce symposium, on a eu le sentiment que Kandia était mal connu. Même Chérif Souleymane n’avait pas beaucoup de choses plus que nous à dire sur l’homme. Pourtant, quand il est revenu d’Allemagne démocratique en 1966-67, on allait le voir, les gens habitués des entrainements disaient qu’il a tellement de souffle… A Neubrandenboug où Chérif a fait sa formation, j’étais assis exactement à sa place. Herr Schulz, le professer de Baumancinenkunde, a sorti les archives, on a reconnu « El Crack » avec des notes très appréciables en Deutsch, mais un peu moins que les nôtres, quand même. Une parenthèse pour qu’aucun doute et fausse interprétation ne puissent subsister dans ces propos. Il avait plus de 2 et de 3 que de 1. Il va expliquer cela.
Les gamins qui ont vu Kandia depuis les années 61-2-3-4-5-6-7 ont gardé plus de souvenirs de lui que ses coéquipiers, qui étaient venus le rejoindre à la sélection nationale. Personne n’a parlé de l’expédition d’Alger pour éliminer la bande à Lalmas. « Si Lalmas est le dieu du football en Algérie, en Guinée, Kandia est son prophète », avait dit Boubacar Kanté. Les Ansoumane Bangoura, qui ont la mémoire, ne se rappellent que des éliminatoires des jeux africains de Bazzaville… flûte ! Mais que le respectable Lanfia Touré aussi ne parle pas du match épique d’Alger, lui qu’on a lu dans Horoya pendant toute notre adolescence, on se demande si les mémoires ne sont pas en question, mais bon…
Sur le « Terrain de Donka », entre 1961-63, il ne s’appelait pas Stade du 28 septembre, il n’y avait même pas encore de gazon, Kandia semblait être plus à l’aise que sur le gazon, une impression peut-être fausse, mais c’est la nôtre.
Quand Dacky M’bor est venu prendre place à nos côtés, devant Amadou Diouldé Diallo et Thierno Saïdou Diakité, on lui a demandé la date exacte de son jubilé, il ne se souvient que de 1966. Dacky nous a confié qu’il est de 1940, donc, deux ans de moins que « Allé le djö », qui est de 1938, âge biologique ou administratif, allez savoir. Mais à voir les deux, on dirait que quelqu’un est allé prendre un bain jouvence d’au moins de 10 ans…
Kandia a eu un impact sur la qualité de gardien de but de Morlaye Camara, et on y croit dur comme bois. Si Kandia était un buteur inégalé, qui marquait un ou deux buts par match de compétition internationale, que dire des buts qu’il marquait aux entrainements ? Morlaye Camara a été le meilleur gardien de but guinéen de toutes les époques, qui prenait au moins deux pénaltys sur cinq. Alioune Kéita-NJo Lea et Bernard Sylla, ses remplaçants les plus méritants n’ont pas pu faire mieux. Kandia, en marquant de buts faciles à Morlaye, lors des entraînements, a dû forger ce dernier. Les gamins se mettaient toujours derrière les goals de Morlaye pour voir comment Kandia le trompait par ses frappes lourdes, ses lobes et ses contre-pieds.
Morlaye était un gardien de but éclectique. Il y a des jours où il ne fournissait aucun effort. Un jour, quelqu’un avait frappé une balle au ras du poteau en bois carré. Morlaye n’avait pas plongé, il s’était contenté de la parer négligemment de la main et la balle avait écrasé ses doigts nus sur le montant pour créer une situation de cafouillage devant ses buts. Il n’avait pas porté de gant et les ballons de cette époque étaient de cuir sec et dur. Sans faire paraître la douleur, Morlaye avait remué ses doigts en les frétillant pendant longtemps. Ce jour-là, il avait pris des buts faciles. Cela n’était pas du goût de Budai. Il mit un autre gardien à la place de Morlaye et il intima à ce dernier de venir derrière les buts, côté permanence fédérale de Conakry II. Il y avant un casier de sable. Budai y planta deux javelots en guise but et s’était mis à « manipuler » Morlaye en lui lançant des ballons à grande vitesse en haut, en bas, à gauche, à droite, l’obligeant à se détendre dans tous les sens.
On ne sait plus combien de minutes cela avait duré, mais quand Budai cessa ses manœuvres, Morlaye était resté allongé de tout son long sur le sable et respirait comme un soufflet de forge, et nous, on était là à observer Morlaye complètement flagada, une face sur le sable. On était en 1966. Le lendemain, Morlaye était venu aux entraînements dans son camion avec un filet de ballons, avec son képi et ses gants et avait limité les « dégâts » dans les buts par des arrêts dignes du nom.
Kandia, en lui marquant des buts faciles, l’obligeait Morlaye d’aller chercher des balles à des angles compliqués, et cela l’avait forgé. Un bon buteur forme un bon gardien et inversement. Cette symbiose existait entre les deux.
Jusqu’à sa retraite en 1969, après l’élimination de la Guinée par le Maroc dans un match décisif de qualification pour la coupe du monde du Mexique, « Fori Morlaye » a toujours donné de son mieux, mais Boubacar Kanté avait fait un virulent réquisitoire : «il faut que la Fédération Guinéenne de Football pense à la relève. Le gardien Morlaye Camara a 40 ans… » Si tel était le cas, « Fori Morlaye » doit avoir 89 ans en 2018. II est alité. Ne l’abandonnez pas sans assistance ! Ceux-là ont donné au pays une lettre de dignité et de noblesse.
La balle est dans le camp de Jeannot et de Isto qui sont dans toutes les affaires de leur ressort. Les secteurs de la tribune du Stade impartis à Kandia et à Morlaye pour la reconnaissance nationale sont-ils visibles avec leurs effigies ?