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Critique des théories sur les causes du sous-développement de la Guinée (1ère partie)

Auteur : Aboubacar Fofana, chroniqueur de Guinéenews©, Victoriaville, Canada.

« Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage »Soixante-et-un ans après la prononciation de cette phrase solennelle par son premier président, pourquoi la Guinée s’enlise toujours dans l’embourbement rébarbatif de la misère et des crises politico-économiques et sociales ? C’est sur cette question bien facile à poser mais cependant complexe et compliquée à démêler que nous allons nous atteler dans cette réflexion. La Guinée serait-elle maudite par le ciel, condamnée à une pauvreté éternelle, au profit d’une libertéqui laisse à désirer, comme semblait l’exprimer le président Sékou Touré dans cette phrase devenue célèbre ? Malgré la multiplicité des réponses qui peuvent être apportées pour éclairer cette question, nous essaierons à notre niveau d’avoir notre propre regard sur l’origine des maux qui continuent encore de gangréner le décollement économique de notre beau pays. Pour ce faire, nous examineronsd’abord les principales théories qui existent sur ce sujet en y apportant à chaque fois notre point de vue propre. Par la suite, nous nous emploierons à faire une proposition nouvelle qui, selon nous, pourrait mieux expliquer les difficultés de notre pays.

Dans le souci de ne pas alourdir le texte pour le lecteur, nous proposons de poursuivre cet exercice en trois partiesdistinctes qui seront mises à la connaissance du public dans trois articles différents dont celui-ci est le premier.Dans le présent article donc, il est question de discuter des trois théoriessuivantes : la théorie de la traite des nègres, celle du découpage colonial de l’Afrique et celle du colonialisme en Afrique.

Premièrement : théorie de la traite négrière

À l’instar de tous les peuples d’Afrique noire, le fait que la Guinée ait connu l’esclavage la condamnerait-elle à une stagnation permanente ? Nombre d’activistes africains répondent oui à cette question. Pour notre part, avec toutel’estime que nous avons pour ces personnes de bons augures, nous devonsexprimer néanmoins notre désaccord avec cette réponse. Car, on ne peut pas prouver que si la Guinée, de façon hypothétique, n’avait pas été dépouillée de ses hommes et femmes bras valides, ceux-ci auraient réussi à bâtir un pays prospère en y établissant un État de droit exemplaire, permettant à tous de s’émanciper collectivement. En effet, une telle déduction signifierait que la prospérité économique est directement proportionnelle à la démographie. Ce qui nous semble être une fausse déduction, car beaucoup de pays d’Afrique, autant victimes du commerce triangulaire que nous et parfois jusqu’à 18 fois plus peuplés que la Guinée, ne rentrent pas dans ce cadre-là. Citons en exemple la République démocratique du Congo qui compte plus 85 millions d’habitants, maisdont plus de 87% vivent en dessous du seuil de pauvreté ou bien le Nigéria, qui pèse au-delà de 203 millions d’habitants, mais dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté. Par conséquent, bien que la manœuvre de la traite négrière mérite la qualification d’un ignoble crime contre l’humanité, on ne peut pas réduire la raison du retard économique de notre pays à ce seul désastre historique.

Deuxièmement : théorie du découpage colonial

Le découpage géographique du continentafricain entre les puissances coloniales, au cours d’une conférence tenue à Berlin du 15 novembre 1884 et au 26 février 1885 serait-elle la cause de notre sous-développement ? En effet, on estime que 87% des frontières terrestres actuelles sur le continent sont directement issues du découpage colonial. L’argument avancé est que ce partage du continent n’a pas tenu compte des organisations ethnico-étatiques qui préexistaient sur ces terres avant l’intrusion coloniale. Les peuples rassemblés au sein des États africains modernes seraient donc si différents que cela a nourri les nombreux conflits et guerres civiles qu’ont connus les différents pays du continent, freinant ainsi tout développement. Mais cette théorie pose une contradiction majeure qui est que, si partout où des populations hétérogènes ont été rassemblées au sein d’un même pays des conflits avaient éclaté, le monde aurait été livré certainement à une guerre permanente. En effet, des exemples de ce type existent dans beaucoup de pays du monde où des populations ethniquement différentes vivent pourtant très bien ensemble et œuvrent collectivement, en unissant leurs forces, pour la prospérité de leurs pays. Ce n’est donc pas la diversité ethnique qui justifie les conflits en Afrique, mais l’injustice plutôt, le fait de léser l’autre ou de vouloir le dominer contre sa volonté ainsi que les manœuvres politiciennes machiavéliques, les différences ethniques ne servant que de prétexte. Nous sommes donc obligésde rejeter cet argument.

Troisièmement : théorie du néocolonialisme

Le retard économique de notre pays est aussi attribué à une troisième raison, qui est probablement la plus dominante, c’est la raison néocolonialiste qui veut que ce soit l’ancienne puissance coloniale qui fut à l’origine de tous les malheurs des territoires décolonisés. Cette raison est en partie justifiée dans la mesure où la France par exemple, continue encore de s’ingérer dans les affaires de ses ex-colonies dans le but d’y préserver ses intérêts économiques et géostratégiques, notamment à travers le système « Françafrique » que François-Xavier Verschave définit comme « une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’Aide publique au développement. La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés. Le système autodégradant se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie ». Toutefois, l’argument selon lequel le rapport entretenu par certains chefs d’États africains avec l’ancienne Métropole est un fait subi ne nous semble pas convaincant. En effet, il y a lieu de reconnaître qu’un tel rapport est souvent souhaité, voire même voulu par nos chefs d’États (qui donnent l’apparence de n’être parfois que des marionnettes) dans l’optique de bénéficier du soutien de la puissance néocolonialiste afin de pouvoir se maintenir au pouvoir. Il s’agit donc moins d’une relation imposée d’un côté que d’une collaboration voulue de l’autre. Et c’est contre cette responsabilité locale que nous devons lutter avec vigueur.

Post-scriptum

Dans un prochain article qui sera la suite logique de celui-ci, nous discuterons de trois autres théories du même genre en essayant d’établir à chaque fois, les limites de chacune d’elles.

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