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Coupures réccurentes d’électricité : les Guinéens broient du noir 

 

Malgré tous les efforts fournis jusque-là, les populations guinéennes broient toujours du noir. La situation est presque lamentable dans tous les quartiers où les citoyens vivent au rythme des coupures intempestives d’électricité.

L’impact est suffisamment négatif sur les ménages qui n’arrivent plus à conserver leurs emplettes. Sans parler du nombre d’appareils électroménagers qui s’abîment à cause de ces coupures imprévues. Ce qui crée d’énormes préjudices auprès des populations dans un contexte où le coût de la vie a quasiment doublé dans le pays. Certes, l’opérateur unique de distribution de l’énergie électrique en Guinée, l’EDG, communique régulièrement sur son plan d’indisponibilité de l’énergie électrique dans les quartiers de la capitale, mais cette communication ne parvient toujours pas à toutes les populations. Les coupures intempestives de l’électricité sont d’autant plus gênantes qu’en cette période de chaleur les populations ne savent plus où mettre la tête..

Voilà plusieurs semaines que les populations de Conakry vivent avec des coupures d’électricité quotidiennes. Une situation exceptionnelle dans ce pays qui se bat pour sortir de l’obscurité. Un déficit de production d’électricité plonge le pays dans le délestage, obligeant l’EDG à rationner les ménages et les entreprises qui composent tant bien que mal avec cette difficulté. Depuis le mois de février, la Guinée vit au rythme des coupures d’électricité récurrentes. Une avarie sur la centrale thermique de Tombo ainsi qu’une saison des pluies au démarrage incertain ont occasionné un déficit d’environ 75 % d’énergie et forcé le gouvernement à imposer le rationnement. Une pénurie de courant, qui affecte les citoyens comme les entreprises. Pour le directeur du patronat guinéen, plusieurs industries seraient déjà touchées à hauteur de 70 % par cette crise.

« Les responsables de l’énergie ont vu venir les choses depuis déjà quatre, cinq mois. Je pense qu’il aurait fallu le dire aux opérateurs beaucoup plus tôt pour qu’elles (les entreprises) puissent se préparer en retour”, déplore un opérateur économique, membre du Patronat de Guinée, la principale organisation patronale du pays. .

Les effets sur les chaînes de production
Au niveau des entreprises, tous les niveaux des chaînes de production sont touchés. Nécessité d’investir dans des groupes électrogènes et de baisser la production, voire d’arrêter la production. Les délestages entraînent une perte importante de chiffre d’affaires. L’industrie alimentaire n’est pas en reste, comme le témoigne Youssouf Sangaré, gérant d’une supérette à Kipé: « Le délestage réduit notre capacité de production et augmente les pertes en fruits, puisque les frigidaires sont souvent éteints ». La production et la transformation des aliments sont ainsi impactées. La distribution aussi ne peut pas se dérouler normalement, les supermarchés ne pouvant pas recevoir leurs clients et devant faire face à de nombreux surcoûts pour conserver les aliments. Cette crise de l’électricité pèse énormément sur la sécurité alimentaire des Guinéens.

Le manque de précipitations et les coupures d’électricité qui en résultent affectent aussi bien les ménages que les entreprises. Les Guinéens ne disposent que de 6 heures d’électricité toutes les 48 heures, le tout pendant les périodes de forte chaleur. En conséquence, les habitants sont confrontés à de nombreuses difficultés, notamment pour la conservation des aliments. Privés d’électricité, et donc de frigos, les risques d’intoxication alimentaire augmentent. Le délestage, avec ses surcharges de courant, ses chutes de tension et ses courts-circuits, endommage les appareils et a même provoqué des drames, comme des incendies.

Les centres de santé au rythme des délestages

Parmi les secteurs les plus affectés par ces coupures, il y a malheureusement la santé. « Lorsqu’il y a coupure et que notre générateur est en panne, la conservation des corps devient problématique ici à la morgue », souffle Thomas Wilkinson, thanatopracteur dans un hôpital public à Conakry.

« Pas plus tard que le 15 avril dernier, je devais reprofiler la prothèse dentaire d’une dame à qui j’ai donné rendez-vous. Mais une fois dans mon cabinet ici, je constate qu’il n’y a pas de courant. J’étais obligé de lui demander de retourner à la maison. Et c’est comme cela presque tous les jours. Malheureusement, nous n’avons pas de générateur dans notre structure » déplore Seyni Camara, médecin dentiste à Taouyah.

L’agent de santé explique qu’en cas de coupure en plein exercice, il fait recours aux moyens rudimentaires. « Nous avons installé ce fauteuil dentaire de sorte que le visage du patient soit face à la lumière, du soleil. Et lorsqu’il y a coupure, puisque ça arrive très régulièrement, qu’on puisse continuer le travail avec les rayons de soleil ».

Selon  le médecin dentiste, le comble arrive lorsque la coupure intervient en plein exercice. « S’il s’agit d’une simple extraction de la dent, je suis obligé d’éclairer la bouche du patient soit à l’aide d’un téléphone ou ouvrir la fenêtre pour bénéficier de la lumière du soleil. Mais s’il s’agissait d’une dévitalisation, ou de toute autre opération délicate, nous sommes obligés de tout arrêter. Imaginez la douleur après l’effet de l’anesthésie », soupire-t-il.

« C’est difficile. A tout moment, nous sommes dans le noir ».

«Honnêtement c’est une honte pour notre pays. J’habite le quartier Lambanyi où il ne se passe pas une journée, sans qu’on ne coupe l’électricité. Une coupure peut durer plus d’une demi-journée sans que cela n’émeuve les responsables de l’entreprise qui distribue l’énergie», témoigne ainsi une victime visiblement remontée contre ces coupures

Au marché de Madina, l’un des plus importants centres commerciaux de la capitale guinéenne, l’économie tourne au ralenti. « Si tu ouvres aujourd’hui une poissonnerie sans groupe électrogène à Conakry, ça veut dire que toi-même tu n’es pas sérieux », ironise un poissonnier.  A la question de savoir pourquoi ? Il répond sans ambages: « le délestage, c’est notre quotidien ! Et lorsque tu évolues dans ce secteur d’activité, tu risques d’avoir une mauvaise image de vendre du poisson pourri ».

Dans un secrétariat informatique situé à proximité d’une université privée à Kipé, Christian, son gérant, peine à faire la recette journalière.

« On peine à faire 100.000 francs guinéens par jour. Pourtant, nous sommes situés à un endroit stratégique. Mais le problème c’est le courant. Lorsque nous passons une journée sans travailler, on ne sait pas comment faire non seulement pour payer les bailleurs qui nous louent cet espace, gérer nos employés qui ont aussi des familles, et nous-mêmes, nous devons gérer nos propres familles », confie-t-il désespérément.

Comment la Guinée en est-elle arrivée là?

Tout d’abord, la pluie n’est toujours pas arrivée. Sur la zone littorale en particulier, les cumuls pluviométriques sont inférieurs à la moyenne. Cette tendance n’est malheureusement pas nouvelle : bien qu’étant un pays traditionnellement humide, la Guinée connaît une baisse importante de la pluviométrie depuis quelques années et enregistre une baisse de 9% des précipitations au courant des mois de juin, juillet, août et septembre. Cela a des répercussions sur le niveau d’eau disponible dans les barrages hydroélectriques, et donc sur la qualité des conditions de vie des Guinéens. D’autant plus qu’en Guinée, si 75% de l’énergie produite provient de centrales thermiques, 25% provient de l’hydroélectricité. Le manque d’eau a donc des conséquences dramatiques sur la production d’électricité dans le pays.

« Ces temps-ci, le niveau des précipitations n’a pas été à la hauteur des espérances. Le mois de juillet sera décisif : de fortes précipitations sont alors attendues, dernier espoir d’une montée des eaux qui mettrait fin aux délestages. S’il n’y avait pas de telles fortes précipitations, l’Etat guinéen se fournirait auprès des pays de la sous-région. La mesure annoncée est le rationnement de l’électricité, ce qui veut dire que chaque zone subirait une coupure allant de quatre à six heures par jour », informe A. D, un responsable du ministère de l’Hydraulique.

Quand l’eau, l’énergie et la nourriture dépendent de la pluie

Le lien entre l’eau, l’énergie et l’alimentation n’est pas toujours facile à expliquer. Surtout en ce moment en Guinée où les journées ensoleillées. En fait, les journées ensoleillées sont si fréquentes ces derniers temps, et la saison des pluies en conséquence retardée, que le pays connaît un délestage. Et l’arrêt temporaire de la fourniture d’électricité à une partie des clients finaux dans certaines parties du pays, impacte fortement la puissante industrie agro-alimentaire.

Depuis le mois de mai donc, les habitants de Conakry se sont souvent réveillés dans le noir, sans électricité. Pas de lumière, pas de ventilateurs : les Guinéens vivent des mois difficiles depuis que l’EDG s’est vue obligée de procéder à un délestage électrique pour éviter la saturation du réseau. Pourquoi cela se produit-il ? « Nous sommes dans une situation où l’eau, l’énergie et le courant sont plus que jamais liés », lâche un spécialiste d’énergie.

« Cette situation est principalement due à un manque de précipitations qui a asséché les barrages hydroélectriques, principale source énergétique du pays. En raison d’une saison pluvieuse qui a tardé à arriver, les barrages hydroélectriques sont à risque de se vider, et la Guinée connaît un délestage de son électricité. L’industrie agro-alimentaire tourne donc au ralenti. A la Basse-Côte, les hydroélectriques à Garafiri et à Kaleta sont aujourd’hui presque à sec. A Garafiri, le barrage enregistre une baisse historique du niveau de l’eau de plusieurs mètres. Les autres barrages du pays ne sont pas en reste : à Souapiti et autres, le manque d’eau se fait sentir et limite considérablement la production d’électricité ». constat de l’ingénieur Boubacar Camara en poste sur le site de Kaléta.

Sans pluie, la Guinée est privée d’électricité

A en croire les spécialistes de l’énergie, interrogés au cours de notre enquête, la production guinéenne d’électricité est assurée à 25% par les barrages hydroélectriques. La sécheresse provoque ainsi des coupures de courant, et les ménages sont rationnés six heures par jour dans la semaine.

Va-t-il enfin pleuvoir en Guinée? « Il faudra attendre la saison des pluies pour en finir en partie avec les coupures intempestives d’électricité qui secouent le pays depuis avril. Les barrages hydroélectriques sont presque à sec, et les grosses pluies attendues à partir de juin sont le seul espoir d’une remontée des eaux », répond Saikou Yaya B. un travailleur à l’EDG.

« Il ne pleut pratiquement pas, le niveau d’eau a baissé de cinq mètres, du jamais vu depuis plus d’une décennie« , explique à A Diallo, un ancien responsable du site de Garafiri. « Nous traversons une période de sécheresse qui touche tous les barrages du pays : Souapiti, Kaleta… Or, l’eau est la matière première du barrage, sans eau, on ne peut pas produire d’électricité. Nous sommes limités par les phénomènes naturels« , note-t-il. La production guinéenne d’électricité est assurée à 75% par l’énergie thermique, le reste étant fourni par les barrages hydroélectriques.

Mais selon lui, « la situation est bien meilleure qu’avant le début des coupures en avril. Les nuits, il n’y a plus de rationnement, le weekend non plus« , dit-il, alors qu’en semaine les ménages son rationnés six heures par jour, les industriels étant fournis « pendant 16 heures tous les deux jours« .

Il préfère parler de « rationnement du courant » plutôt que de « délestage« . « Nous n’avons pas de déficit énergétique car la capacité installée est largement supérieure à la consommation, qui équivaut à la demande nationale« , explique M.Diallo. Selon lui, « la saison des pluies arrive, le niveau d’eau va se rétablir et nous aurons toutes nos capacités disponibles pour couvrir la demande. D’ici la mi-juillet nous sortirons définitivement de cette situation de rationnement« , a-t-il assuré.

Un membre de l’Association des Consommateurs de Guinée, déplore de son côté un rationnement non officiel qui « met en difficulté les consommateurs« . Il affirme que les artisans ou les restaurateurs « subissent une perte d’exploitation de l’ordre de 70% en raison des coupures de courant ».

Ce que dit l’EDG

L’entreprise a récemment annoncé dans un communiqué, des perturbations du service sur son réseau, qui gère la ville de Conakry. Des perturbations dues aux différentes pannes techniques, dit-on. Depuis lors, l’entreprise opère des rationnements rotatifs de la fourniture de l’énergie électrique dans les quartiers de la capitale. Toute chose expliquant en partie, des multiples délestages. La presse locale a fait état, d’une enveloppe qu’une entreprise privée sollicitée par l’ancien régime aurait réclamé à l’Etat

Certes, l’EDG assure que la situation devrait être résolue pendant l’hivernage. Mais à long terme, avec le réchauffement climatique, des interrogations demeurent sur la fiabilité de l’hydroélectricité.

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