Insalubrité, manque de protection adéquate, des rats et des cafards qui se promènent partout, sans oublier des toilettes situées à deux mètres. C’est le triste décor qu’il nous a été donné de voir dans plusieurs boulangeries visitées dans les quartiers populaires de Conakry lors de notre enquête…A ce décor malsain, s’ajoute les conditions de distribution et de vente du pain à travers les rues. Nonobstant les nombreuses mesures d’hygiène préconisées par l’Etat en cette période de pandémie…
Le pain est aujourd’hui l’un des aliments les plus consommés en Guinée. Presque tous les Guinéens en consomment. Il est alors l’aliment le plus vendu et le plus prisé. Il demeure l’aliment de base. Cependant, ce qu’ignorent ou négligent ces consommateurs, c’est le manque d’hygiène dans lequel est fabriqué et distribué ce pain qu’ils consomment en quantité. Lors de notre enquête, il nous a été donné de constater que la plupart des boulangeries et pâtisseries de la place ne respectent aucune mesure d’hygiène.
Tenez ! Vendredi 8 mai. Il est 16heures. Nous voici devant la boulangerie située entre le mur de l’université Gamal Abdel Nasser et les rails du côté de l’autoroute Fidel Castro. A cette heure de l’après-midi, les clients composés essentiellement de femmes, se bousculaient pour se procurer du pain. Nous profitons de ce brouhaha pour pénétrer à l’intérieur de la baraque qui sert de boulangerie. Quelle ne fut pas notre surprise de voir dans cette fournaise, des baguettes de pain éparpillées sur des planches salles ! Au fond de la salle, on aperçoit deux ouvriers malaxer à mains nues et en toute sueur, la patte de farine. Les rats et autres insectes apeurés par la présence des clients sortaient des murs et des trous, de partout… Non loin de là, une toilette ouverte sur le four dégageant une puanteur à vous donner la nausée.
C’est dans ce désordre indescriptible et insalubre que les ouvriers de cette boulangerie fabriquent du pain. Et c’est ainsi partout où nous sommes passés.
De Kaloum à Coyah, en passant par Matam, Dixinn, Ratoma et Matoto, les boulangeries traditionnelles fonctionnent de la même façon. Sans aucun respect des mesures d’hygiène.
Cette situation inquiétante devrait interpeller aujourd’hui les Guinéens, quant aux conditions d’hygiène dans la production, la distribution et la vente du pain en République de Guinée. Il faut signaler que la majeure partie de ces producteurs de pains ne remplissent pas toutes les mesures sanitaires exigées. Beaucoup vont certainement s’abstenir de manger le pain s’ils voyaient comment la patte est faite et surtout par qui.
Des conditions de livraison en dessous des normes
Après les conditions malsaines de production, il faut voir comment ce pain est distribué et vendu. C’est dans des brouettes et des charrettes que le pain atterrit chez le consommateur ou pis avec des vendeuses à la sauvette, sans mesure hygiénique. Le pain est trainé des boulangeries aux boutiques et un peu partout à travers la ville, à la merci de la poussière, des eaux sales et autres.
Accroché à l’arrière de la moto dans des caisses sans couvertures, et alors à la merci des fumées, des mouches… dans les rues poussiéreuses de Conakry. Il est ainsi distribué dans des boutiques dans les mains de certains boutiquiers qui n’hésitent pas ajouter plus de bactéries, de saletés au pain qui est consommé sans la moindre inquiétude de la part des consommateurs qui semblent ignorer ou nier ce danger auquel ils font face.
Vêtu d’un tee-shirt marron et d’une culotte de couleur bleue, un livreur de pains, vient juste d’arrêter sa brouette devant un kiosque à café, à proximité de l’hôpital Jean-Paul II à Tayouah. Ce samedi 9 mai, il jette vingt baguettes de pains sur le comptoir. L’horloge du propriétaire du kiosque marque 17 heures. Quelques minutes plus tard, le tenancier du kiosque, lui remet de l’argent et notre livreur prend congé de lui. Comme ce quidam, nombreux sont les distributeurs de pains qui continuent leurs activités dans des conditions d’hygiène douteuses. Nonobstant les mesures d’hygiène imposées en ces temps d’épidémie.
Entre anarchie et amateurisme
Avec le taux de chômage qui ne cesse de s’accroître dans le pays, les jeunes se disent « qu’il n’y a pas de sot métier ». Donc il n’est pas étonnant de voir une frange considérable de jeunes dans les boulangeries, sans expériences et souvent ne remplissant pas les conditions d’hygiène demandées pour pétrir la pâte. Ce sont ces jeunes qui prennent le pain des boulangeries par des motocyclistes et qui font le tour de la ville, de quartier en quartier dans des conditions peu hygiéniques.
Interrogés sur le tas, certains clients reconnaissent le manque d’hygiène dans les boulangeries. « J’aime bien le pain et en mange chaque jour. Mais très sincèrement quant aux conditions non hygiéniques dans lesquelles il est produit, distribué ou vendu, j’accorde peu d’importance, car ça fait des années que je consomme le pain vendu par des distributeurs en moto et je ne suis jamais tombé malade ! Donc je ne me soucie pas trop à ce point, car comme le dit le proverbe : dès que ça nous tue pas, ça ne va que nous engraisser », raconte Issiagah Camara.
D’autre part Djaka Fofana, infirmière de profession croit que la consommation de ces pains peut être très dangereuse, car le manque de propriété peut provoquer la diarrhée et d’autres maladies similaires.
« Je préfère aller payer mon pain dans la boulangerie que dans les boutiques car au moins là je remarque que le guichet est propre et que le pain est bien protégé. Les gens me trouvent mesquine mais je préfère prévenir que guérir, vu qu’on ne peut pas laver le ventre ».
Il est donc clair que la consommation de ces pains peut être très dangereuse pour les consommateurs qui pour la plupart ignorent les dangers.
Du côté des responsables de l’association des boulangers, c’est motus et bouche cousue
C’est là le problème. Les patrons des boulangeries visitées n’ont jamais voulu se prêter à nos questions. Tous nous ont priés de quitter les lieux et d’aller demander aux consommateurs s’ils se plaignent de la qualité de leur pain. Au niveau de l’Association des Boulangers de Guinée, même son de cloche. A défaut du président qui n’est « pas disponible à nous recevoir », nous avons interrogé quelques responsables dans les couloirs. Ces derniers qui ont accepté de nous parler sous le couvert d’anonymat nous apprennent que des « dispositions sont prises chaque année pour l’application effective des mesures d’hygiène dans les boulangeries. » La preuve. Jusqu’ici, ils n’ont « jamais été interpellés par la Direction des Services de Contrôle de Qualité et d’Hygiène ». Et pourtant plusieurs boulangeries travaillent dans des conditions d’insalubrité ?
A cette question, l’un de nos interlocuteurs nous demande de brandir la preuve qu’une plainte a été portée contre une boulangerie pour avoir consommé un produit de mauvaise qualité. « Depuis que nous avons mis en place cette association, nous n’avons jamais reçu une plainte d’un consommateur qui a été victime d’indigestion après avoir mangé du pain (Tapalapa). Nous avons reçu plutôt des satisfecit de la part de la Direction des Services Contrôle de Qualité et d’Hygiène ! Nous contrôlons toutes les boulangeries ! On vous apprend que même plusieurs établissements hôteliers de la place sont ravitaillés par ces boulangeries…Alors on ne comprend pas votre démarche », s’interroge Mamadou Allareny Barry.
A la Direction des Services Contrôle de Qualité et d’Hygiène, on nous a laissés entendre que la quasi-totalité des boulangeries de la place sont contrôlées régulièrement. Mais, on accuse « certaines brebis galeuses » qui contourneraient les règles pour s’installer. Là-bas à Matoto où siège le service, on promet tout de même qu’on s’apprête à sévir dans les jours à venir, pour mettre hors d’état de nuire tout contrevenant.
Rappelons qu’en cette période de confinement et du Ramadan, il été difficile de mettre la main sur plusieurs responsables des services Qualité et d’Hygiène.
Au niveau des boulangeries, retenons qu’il va sans dire que les cuves, bacs, plans de travail… doivent être conservés propres afin d’empêcher le développement de bactéries et autres organismes divers. C’est une vigilance quotidienne qui doit être observée pour éviter tout risque lors du travail de la pâte. Egalement, l’hygiène des boulangers doit être irréprochable : mains propres, cheveux courts ou protégés, barbes entretenues… Ce sont eux qui sont en première ligne et peuvent potentiellement servir de relais à des infections.
Conakry est infestée de rongeurs tous aussi sympathiques les uns que les autres. Ils sont très présents et représentent un véritable cauchemar pour les propriétaires ou locataires de fonds de commerce. Entre déjections et maladies, ces petites bêtes sont de véritables dangers, car les traces de leur passage sont nombreuses et durables.
Si l’on s’intéresse à la distribution et à la boutique, il y a sûrement tout autant à dire. Dans une boulangerie seule, on pourrait penser que les problèmes d’hygiène sont plus limités. Du pain, à servir, rien de bien sensible. Pour autant, les mains sont un ennemi redoutable de la propreté. Là encore, l’hygiène de chacun est primordiale. Combien de fois ai-je vu des vendeurs ou vendeuses et même des clients manipuler à mains nues les baguettes de pains dans les brouettes ou charrettes ; manipuler des liasses de billet de banque (sales) sans prendre le temps de se laver les mains ? Il faut, de toute façon, éviter tout risque de contact entre l’homme et le produit. Gants, pinces, … autant d’accessoires permettant d’assurer le service en toute sécurité. Là encore, ce sont des précautions bien souvent oubliées et certains prennent un grand plaisir à manipuler le pain à pleines mains…
Il revient alors aux agents des Services d’Hygiène et Qualité de sensibiliser les consommateurs ainsi que les producteurs et distributeurs pour que des mesures soient prises pour une meilleure consommation du pain. Les autorités doivent aussi s’impliquer et s’assurer de la bonne fabrication du pain dans les différentes boulangeries et aussi exiger un autre moyen de transport du pain plus hygiénique.