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 « Confiage » et mobilité interne des enfants : impacts socioculturels et économiques (2e partie)

Il passe souvent inaperçu, mais depuis plusieurs années, le phénomène fait l’objet d’études, et amène plusieurs chercheurs de différents domaines à s’y intéresser et à tenir compte de cette réalité. Il s’agit du phénomène des enfants qui, temporairement ou dans le long terme, sont placés par leurs parents biologiques dans une autre famille, le plus souvent apparentée. Un phénomène qui est souvent connu sous le vocable « confiage » pour traduire le terme anglais « fosterage ». D’autres chercheurs trouvent adapté à ce phénomène le terme de « circulation » pour appréhender ces déplacements des enfants de leur ménage d’origine à un autre. A cette catégorie s’ajoute celle des enfants, qui, périodiquement, quittent leur famille pour d’autres villes ou la capitale Conakry à la recherche du « bien-être », et qui malheureusement subissent des traitements inhumains.

Pour ce qui concerne le « confiage » des enfants, nous nous sommes intéressés au cas de la ville de Conakry. Selon le Recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) de 1996, qui a traité de cette question, l’analyse des différents aspects du phénomène de confiage des enfants au ménage dans la ville de Conakry, a permis de mettre en évidence les effets des facteurs socio-économiques des ménages d’accueil sur le phénomène.

L’ancien ministre de la Pêche Jean Réné Camara, actuel Conseiller technique à l’Institut national de la statistique (INS), a également traité de cette question dans le livre intitulé « Phénomène de confiage des enfants à Conakry », publié en 2010. Interrogé par votre quotidien en ligne, il dit s’être intéressé à connaître la situation de ces nombreux enfants qui sont confiés dans les familles à Conakry par suite de migration ou de l’exode vers la capitale. Ses études sont en relation avec les données du RGPH, l’une des bases de données les plus exhaustives en démographie.

En effet, deux approches explicatives du phénomène se dégagent : approche socio-culturelle et économique. Les données combinées du RGPH et des recherches du ministre Camara démontrent par des statistiques la proportion des enfants accueillis qui sont scolarisés ou non selon le sexe.

Caractéristiques des enfants confiés, lien de parenté avec le chef de ménage, niveau d’instruction des enfants et leurs activités

Selon nos sources citées plus haut, parmi 407 609 enfants retenus, 20,3% sont des enfants confiés. Cette proportion des enfants confiés est par ailleurs, nettement plus élevée chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons de la même tranche d’âge avec respectivement 12,4% et 8,4%. Les données du RGPH montrent qu’en 1996 31,1% des ménages de la ville de Conakry ont accueilli au moins un enfant de 13 ans, cette proportion baissant 21,8% et 13% respectivement si l’on ne considère que les enfants âgés de 5 à 9 ans.

Nos sources indiquent que l’essentiel des enfants confiés sont des parents du chef de ménage d’accueil, 81,4%. Et les jeunes garçons sont relativement plus accueillis par les parents que les filles, 82,4%. Une situation qui s’explique par le fait que les garçons sont beaucoup plus confiés aux parents pour des besoins de scolarisation de ces derniers. Par contre, la plupart des filles qui servent de »bonnes » dans les familles urbaines sont en même temps hébergées, même sans avoir aucun lien de parenté avec le chef de ménage. Il s’avère aussi que les filles sont préférées à cause du fait qu’elles contribueraient  beaucoup plus à  la production domestique du ménage d’accueil que le jeune garçon.

Le plus grand nombre des enfants « sans niveau » de l’échantillon, qui est de 32%, est observé chez les jeunes confiées. On note également une augmentation du nombre d’enfants du ménage en fonction  de l’évolution des niveaux d’étude contrairement aux enfants confiés. A ce niveau la scolarisation des garçons est plus importante que celle des filles. Ce qui reflèterait la raison majeure du confiage des garçons des garçons, tout en soulignant la ségrégation contre les filles. On relève ainsi une légère variation de la scolarisation entre les petits-fils et les petites-filles, les petites filles sont moins scolarisées quel que soit le niveau d’étude considéré.

Toujours selon nos sources, les taux d’activité des enfants confiés sont dix fois supérieurs à ceux des enfants biologiques ; ces taux sont de 16% pour les garçons, de 30% pour les filles. Pour les enfants des ménages d’accueil, ces proportions sont nettement plus faibles ; les taux d’occupation sont relativement plus élevés chez les jeunes garçons que chez les jeunes filles, et sont respectivement de 3,1% contre 2,2%. Les petits-fils/filles connaissent à peu près la même tendance à la baisse du niveau de scolarisation que les enfants confiés. A noter que 45% des jeunes filles au foyer contre 32%  des jeunes filles des ménages d’accueil. Les filles circulent plus que les garçons du fait qu’on les confie très tôt les travaux domestiques et la garde des nourrissons.

Les taux de scolarisation confirment le déséquilibre entre sexe de l’échantillon, prélevée (84% pour les jeunes garçons contre 25% pour les jeunes filles).

Caractéristiques des chefs de ménage d’accueil

Les caractéristiques socio-culturelles et démographiques sont présentées par groupe d’âge, le sexe, la religion et l’état matrimonial. Quant aux variables socio-économiques retenues, elles sont examinées dans le ménage par : le niveau d’instruction du chef de ménage, sa profession et le nombre de pièces (chambres) disponibles.

L’on constate que les chefs de ménage jeunes, ont relativement plus tendance à accueillir les personnes étrangères au ménage, 21% contre 20% respectivement pour les groupes d’âge de moins de 45 ans et plus. La proportion d’enfants accueillis demeure plus élevée dans les ménages dirigés par les femmes que ceux dirigés par les hommes.

Parmi les différentes modalités de cette variable, présenté par l’ancien ministre de la Pêche, ce sont les chefs de ménage célibataires qui accueillent plus d’enfants étrangers, et surtout parmi les femmes. Les veufs ou veuves ont proportionnellement plus d’enfants accueillis que les chefs de ménage mariés ou en union libre. Au sein d’un ménage dont le chef est une femme célibataire, 50% des enfants qui y vivent sont des enfants confiés contre seulement 30% pour les hommes. On remarque que l’inégalité entre sexe en matière d’accueil quel que soit la modalité observée est très sensible. L’accueil des enfants étrangers par les chefs de ménage célibataire pourrait s’expliquer par le fait que ces derniers y ont recours pour pallier à leur solitude.

La religion

L’accueil des enfants selon la religion reflète la distribution des chefs de ménage selon la religion dans le pays. Cet accueil des enfants étrangers, montrent que les femmes chefs de ménage accueillent plus d’enfants que les hommes. Les chefs de ménages musulmans accueillent plus d’enfants que leurs consœurs chrétiennes et animistes. Respectivement les pourcentages sont de 20%, 16%, et 11% l’adhésion forte des musulmans aux valeurs et normes traditionnelles constitue certainement l’explication de cette préparation à l’accueil.

Le niveau d’instruction des enfants accueillis

Dans les publications de l’ancien ministre, on observe une corrélation positive du niveau d’instruction avec les proportions des enfants accueillis tant pour les deux sexes que pour l’ensemble de l’échantillon. Les données nous indiquent tous sexes confondus, qu’on a 29%, 22%, 16%, 21% et 26% respectivement pour les groupes sans niveau, primaire, secondaire, professionnel et le niveau supérieur. L’augmentation du niveau d’étude entre les « sans niveau » et le « primaire » entraîne une baisse sensible des proportions des enfants accueillis, alors qu’on constate au niveau du secondaire, professionnel et supérieur une augmentation du niveau d’étude suivie d’une augmentation des proportions des enfants accueillis dans les ménages. On peut expliquer cela par le fait que les premiers considèrent le phénomène d’accueil avec un degré de fatalisme considérable, tandis que les seconds le pratiquent d’une façon raisonnée. C’est au niveau des chefs de ménage du niveau secondaire qu’on rencontre moins d’enfants accueillis avec 16%. Les ménages dirigés par les femmes quel que soit le niveau atteint accueillent plus d’enfants que les hommes.

Les professions

En observant les proportions, les enfants confiés au niveau des chefs de ménage de hauts statuts socio-économiques, comme les cadres supérieurs, les scientifiques, etc. sont nettement supérieurs à ceux enregistrés au niveau des groupes ayant un statut relativement bas. Cette évolution traduit, d’une manière générale, une corrélation relativement positive entre l’intensité de l’accueil d’enfants étrangers au noyau familial et la catégorie socio-professionnelle. Les femmes chefs de ménages, quelle que soit la catégorie socio-professionnelle, accueillent plus d’enfants que les hommes exception faite des agriculteurs, pêcheurs et éleveurs.

Au constat, c’est le niveau des pièces disponibles dans le ménage. L’examen de la proportion des enfants accueillis augmente avec le nombre de chambres disponibles dans les ménages. L’analyse par sexe montre que les ménages dirigés par les femmes accueillent en général plus d’enfants que les ménages dirigés par les hommes. Par exemple, le pourcentage de ménages ayant une chambre disponible accueille le double (22% chez les femmes chefs de ménage contre 17% d’enfants accueillis chez les hommes). Contrairement aux ménages dirigés par les hommes, la proportion d’enfants accueillis varie d’une pièce à l’autre mais pas de façon linéaire.

Il ressort de l’examen de la proportion d’enfants accueillis selon les indicateurs du développement socio-économique retenus (l’instruction, la catégorie socio-professionnelle et le nombre de pièces à coucher) que l’intensité de l’accueil est souvent corrélée avec la catégorie socio-professionnelle et le niveau d’instruction du chef de ménage. Elle l’est tout de même avec le nombre de pièces bien que moins linéaire que pour les deux premiers indicateurs.

On constate aussi la forte proportion d’accueil d’enfants étrangers chez les femmes quelle que soit la catégorie professionnelle observée.

Mobilité interne et maltraitance des enfants

Selon Abdoulaye Diallo, responsable de la section plaidoyer et partenariat, point focal du Réseau Afrique de l’Ouest pour la protection des enfants en mobilité, de mars 2018 au 31 décembre 2020, 1 124 enfants en situation de mobilité ont été enregistrés. Ce chiffre concerne la mobilité interne et la mobilité transfrontalière. Sur les 1 124, les 30% concernent la mobilité transfrontalière et 60% la mobilité interne. De mars 2018 au 31 décembre 2021, sur 632 concernés par la mobilité interne, 345 sont victimes de violences (violences physiques, viol, et autres).

En plus des enfants qui quittent l’intérieur du pays pour la capitale, il y a le cas de ceux qui se déplacent entre les régions de l’intérieur du pays. Les raisons sont multiples. Il y a des enfants de 18 ans ou moins qui quittent par exemple la Forêt et la Moyenne Guinée pour les zones aurifères. En plus de cette catégorie, il y a ceux qui viennent de façon saisonnière à Conakry. Ça concerne beaucoup plus les jeunes garçons qui viennent pour des travaux domestiques dans la capitale.

« Nous avons beaucoup plus rencontré des enfants de la préfecture de Dinguiraye, précisément de Kalenko et de Téliré dans la préfecture de Mali Yembering. Les enfants de Téliré et de Kalenko ont été interceptés au niveau du Km 36 à bord des minibus par vingtaine ou trentaine tous des enfants âgés de moins de 18 ans. Tous ces enfants identifiés par nos structures ou nos représentants ont bénéficié des paquets de services du ministère à travers la Direction nationale de l’enfance. Il s’agit d’identifier ces enfants et évaluer leurs besoins et situations familiales. A l’issue de cela, un service est offert à ces enfants. Sur place, nous essayons de placer ces enfants dans les centres de transit ou dans les familles d’accueil pour les mettre à des endroits sûrs, assurer leur prise en charge en kits alimentaires, vestimentaires, hygiéniques. Le temps pour nous de cerner leur problème. Il arrive que parmi ces enfants, certains ont des problèmes avec leur famille. Pour les résoudre, le temps dans les d’accueil étant limité, ils sont placés dans les familles d’accueil, le temps pour nous de faire la médiation pour faciliter le retour de ces enfants dans leur famille d’origine. Ces enfants sont identifiés à travers le système de protection de l’enfant à l’échelle communautaire. A ce système s’ajoutent des équipes mixtes composées de la Gendarmerie, la Police, les travailleurs sociaux, un membre de la Croix rouge, etc.  Leur rôle consiste à vérifier si l’enfant est en situation de vulnérabilité, s’il mène une vie à risque ou en danger, s’il est séparé, s’il n’a pas l’âge requis pour se déplacer seul, il est identifié et transféré dans un centre ou dans une famille d’accueil avant que les travailleurs n’entrent en action pour évaluer l’enfant afin de connaître ses besoins immédiats », relate M. Diallo.

Les motifs des départs des enfants de leur famille sont multiples, ajoute-t-il. Certains déclarent avoir quitté leurs parents pour échapper à la violence physique, d’autres à cause du mariage forcé, d’autres encore viennent juste pour trouver du travail ou  étudier ou apprendre un métier. « Mais, le plus souvent ce sont des gens qui viennent pour cette période saisonnière afin de trouver de l’argent, s’acheter des biens et retourner. Certains enfants sont parrainés par des ressortissants de leur village et accueillis dans ces familles qui les placent. Ce qui est assimilable à la traite dans la mesure où ces familles qui les placent reçoivent leur part dans le salaire des enfants. Et ce qui est marrant, ce sont des  enfants qui ne négocient pas leur salaire. Il arrive dès fois que leurs salaires ne transitent pas dans leur main, ce sont ceux qui les ont placés qui reçoivent leur part et envoient le reste aux parents. Ce qui fait encore plus mal c’est que ces enfants et leurs communautés ne sont pas conscients du danger que courent ces enfants », déplore Abdoulaye Diallo.

Selon notre interlocuteur, ces enfants déclarent aussi souvent agir ainsi pour aider les parents très pauvres. Généralement aussi, ces enfants viennent des zones très pauvres où il manque des établissements sociaux de base pour les maintenir et leur offrir une éducation adéquate.

Au niveau du ministère des Affaires sociales et de l’Enfance, les autorités annoncent avoir pris des mesures pour sortir ces enfants de cette situation dans la mesure du possible en évaluant leurs besoins, en apportant un appui à ceux qui cherchent un métier ou qui veulent retourner à l’école pour une période donnée. Des activités de sensibilisation sont aussi engagées pour conscientiser enfants et parents sur les dangers auxquels les enfants sont exposés et l’impact négatif sur leur avenir.

Dossier réalisé par Guilana Fidel Mômou pour Guinéenews.org

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