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Commission baleinière internationale : Amadou Télivel Diallo parle à cœur ouvert avec  Guineenews

Le 21 octobre dernier, la Guinée est devenue le premier africain à être à la tête de la Commission baleinière internationale. C’est le spécialiste des questions de pêche, Amadou Télivel Diallo, qui a eu l’honneur de diriger cette commission pour les deux prochaines années. Dans un entretien qu’il a accordé à Guineenews©, il est revenu sur la création de la CBI, ses objectifs. Il a ensuite parlé du travail qu’il devra faire pendant son mandat, de ses ambitions et surtout des difficultés auxquelles il doit faire face. Car, bien que la Guinée, à travers lui, soit le premier pays africain à être président de cette commission, il n’a pas de bureau où travailler. Pourtant, il a besoin des assistants.

La Commission baleinière internationale (CBI), c’est la commission chargée de la gestion ou de la conservation des espèces baleinières et de leur exploitation durable. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a été constaté qu’il y avait une exploitation abusive des espèces baleinières. Sous l’égide des Nations unies, des scientifiques, des hommes politiques se sont retrouvés pour créer  une convention pour gérer les textes réglementaires pour essayer de mettre de l’ordre dans l’exploitation des baleines pour à la fois garantir leur préservation et une exploitation ordonnée. Donc en 1946, on a produit les textes qu’on appelle la Convention pour la réglementation de la chasse baleinière.  En 1948, on a créé la Commission pour gérer la Convention. Alors  cette Commission est composée des représentants des États membres qui sont appelés commissaires et aussi des scientifiques, un Secrétariat. Depuis 1948, elle (la Commission) fonctionne et veille sur les deux piliers sur lesquels reposent les principes de la Convention baleinière internationale. Elle est sous l’égide des Nations unies. Ce qui fait que ses décisions ne sont pas contraignantes.  C’est un peu ça le mécanisme et c’est un peu ça le mode de fonctionnement.

 

Vous êtes le premier Africain à être élu président de la CBI. Qu’est-ce que vous avez fait, c’est quoi le secret, pour vous permettre d’accéder à ce poste?

Je vais revenir un peu en arrière. La Commission va fêter bientôt ses 76 ans d’existence. Au niveau de la Commission, nous sommes deux grands groupes de lobbyistes. Nous avons un premier groupe qui milite pour la protection absolue et vous avez un second groupe de lobbying qui milite et défend le principe de l’exploitation durable de façon générale, des ressources marines y compris les baleines. Ça veut dire quoi, quand une espèce est menacée, nous militons pour sa protection absolue. Et quand, elle n’est pas menacée, nous sommes pour l’exploitation durable. Parce que la viande de baleine constitue une viande pour certaines populations très appréciée et qui rentre dans le cadre de leur sécurité alimentaire. Pour revenir à votre question, vous savez que la Guinée a adhéré à la commission baleinière depuis l’an 2000. Depuis lors, je suis un des représentants de la Guinée. Au départ, je n’étais pas le commissaire, mais le deuxième suppléant. On était trois. Il y a le commissaire, les 1er et 2e suppléants. Quelques années après, je suis passé au poste de 2e suppléant, après 1er suppléant et près de 10 ans commissaire.

Alors au sein de notre groupe, on a trouvé au niveau de la commission baleinière, un modus operandi pour le choix du président. Si le président est du groupe de ceux qui sont pour la protection absolue, le vice-président est proposé par le groupe favorable à l’exploitation durable. Il y a 4 ans au Brésil, le groupe qui milite pour l’exploitation durable m’a choisi pour être le vice-président au nom de ce groupe. Alors  je suis vice-président en 2018, donc de facto, au cours de la session suivante, le président monte au poste de président. Et, normalement le timing c’est pour 2 ans. Mais après 2018, la COVID-19 est arrivée, ça a perturbé tous les programmes. On ne pouvait pas se réunir en présentiel. Toutes nos réunions, les congrès, on les faisait par visio-conférence. Et on ne peut pas élire les membres du bureau et le président par visio-conférence. Il fallait attendre que les nuages se dégagent et qu’on se retrouve pour organiser une session normale et choisir le nouveau président. Donc le 21 octobre 2022 à Portoroz en Slovénie, nous avons organisé l’élection et le vice-président que j’étais est monté au poste de président. C’est ça le cheminement.

Votre mandat dure combien d’années ?

Notre mandat dure 2 ans,  de 2022 à 2024. Moi, j’ai la charge d’organiser la 69e session qui doit se tenir à Lima au Pérou.

Quels sentiments vous animent en devenant le  premier représentant africain à présider cette commission ?

C’est une fierté, hein. Je dois vous dire qu’au niveau de toutes nos rencontres à l’international ces derniers temps, on invite les scientifiques, des gestionnaires des questions marines, nos représentants dans les différentes organisations, d’essayer de ne pas hésiter d’occuper les postes de commandement et de décision. Pour ne pas que l’Afrique, souvent, soit victime des décisions qui sont prises par autrui, des décisions qui ne prennent pas compte de nos préoccupations, de nos soucis. Et c’est un problème entier. Donc arrivé là, pour moi c’est une fierté parce que c’est une vieille commission et je crois que les 18 pays africains membres sont aussi très fiers et satisfaits de l’arrivée d’un Africain à la tête de la présidence. Et nous allons continuer surtout pendant ce mandat à faire la promotion de l’arrivée des Africains de façon générale et des Guinéens dans les instances de la Commission baleinière internationale. Je dois remercier Madame le ministre de la Pêche et de l’Economie maritime, Mme Charlotte Daffé. Elle a fait le déplacement en Slovénie pour prendre part à cette session et accompagner le candidat guinéen. La Guinée avait trois années d’arriérés de cotisations. Elle a pris des dispositions pour effacer cette ardoise de la dette guinéenne.

Quelle sera spécifiquement votre tâche pendant ce mandat ?

Vous savez qu’un président d’une organisation comme ça, vous êtes comme le facilitateur, le juge quand il faut trancher sur certaines questions. On se réfère à vous sur toutes les questions. Vous regardez les programmes de réunions, vous essayez de vous intéresser à tous les pays qui peuvent abriter les réunions, les sessions liées à ça. Vous savez,  dans notre organisation internationale, nous avons six grands groupes dont le Comité scientifique. Six grands comités qui constituent la base de commandement de la Commission baleinière. Nous avons un bureau représentant ces six groupes entre autres et aussi certains scientifiques. A côté de la commission baleinière, nous avons le comité scientifique qui regroupe plus de 200 scientifiques dans le monde. Les plus grands spécialistes sur les questions baleinières qui y travaillent sont affiliés au comité scientifique de la CBI. Alors nous avons des tâches qui sont confiées à ce comité scientifique des programmes de recherche, d’évaluation des stocks des ressources et des programmes de lecture pour la définition des quotas quand il faut autoriser la chasse baleinière, ainsi de suite. Alors quand vous êtes président, on vous remonte ce paquet d’informations que vous devez partager avec des commissaires du monde entier appuyé par un secrétariat que nous avons, qui est installé à Cambridge en Angleterre. Donc c’est le rôle de coordination et de présidence.

 La présence de la Guinée dans cette Commission a été appuyée par le Japon. Parlez-nous de cet appui.

 

Souvent, les gens se demandent qu’est-ce que la Guinée fait là-bas ? Qu’est-ce que la Guinée gagne ? Comment la Guinée est arrivée dans la Commission baleinière internationale ? Pour la petite histoire, je suis spécialiste des questions de pêche et surtout spécialiste de la coopération avec le Japon. Depuis 1984, j’étais directeur des projets japonais financés par le Japon en commençant par le centre qui fournissait des moteurs aux pêcheurs artisanaux, de filets de pêche. Ça c’était la première phase. Toujours avec l’appui du Japon, on a fait la 2e, la 3e et la 4e phase qui a porté sur la construction du port de pêche artisanale de Boulbinet. En plus de ça, on a d’autres programmes très actifs toujours financés par le Japon. Et quand vous regardez les archives, vous regardez les statistiques que ce soit au niveau du plan et de la coopération, vous verrez que le Japon est un grand bailleur de fonds. Mais on était arrivés aussi à un constat, la coopération Guinée-Japon c’était une coopération unidirectionnelle. C’est le Japon qui fait des dons à la Guinée, ils ne sont pas présents chez nous. Et même dans les mines, peut-être un peu à la cité CBG, mais il y a eu un projet où il y avait des firmes japonaises qui étaient intéressées, ce projet n’a pas vu le jour. Il y a eu un projet qu’on appelait projet Gapco qui portait sur la construction d’une fonderie pour la transformation de la bauxite de Sangaredi en alumine. Ça aussi n’a vu le jour. Alors on s’est demandé comment faire pour créer le 2e axe. Avec des partenaires japonais, ils nous ont dit le secret. Ils nous ont dit de venir au Japon, nous ministère de la Pêche, mais que notre délégation soit pilotée par le ministre des Affaires étrangères de la Guinée. Parce que quand nous allons avec le ministre des Affaires étrangères, par réciprocité, nous serons reçus par celui du Japon. Et l’organe qui finançait tous les programmes d’aide et de coopération, l’agence japonaise de coopération internationale (JICA), relevait du ministère des Affaires étrangères du Japon. Alors, dans les années 1998, nous avons préparé une mission où nous, au ministère de la Pêche, avons bénéficié de l’appui du ministre de la Coopération d’alors. On est allés au Japon. Et nous avons été reçus par le ministre des Affaires étrangères du Japon et c’était quelque chose de gagné pour un État qui n’avait pas de relations étroites avec le Japon. On a essayé de les motiver afin qu’ils acceptent de venir investir ici et de regarder dans les deux directions. C’est en ce temps qu’on nous a informés qu’il y a un groupe de lobbying, le Japon avec certains pays, militant pour l’exploitation durable qui était créé au sein de la commission baleinière. Et tout État ami qui venait, intéressait ce groupe de lobbying. Cette adhésion était considérée comme un axe retour, surtout que nos intérêts se recoupaient quelque part. Les Japonais ont la tradition de la chasse baleinière. Ils nous ont dit qu’il y a des clivages qui sont créés dans cette commission. Nous qui sommes consommateurs en général des petits poissons appelés pélagiques (bonga) et les baleines consomment ces petits poissons en général. Et on a dit que les baleines consommaient les petits poissons 5 fois plus que les hommes. Un rapport a été fait. Quatre-vingt-dix millions de tonnes de poissons pour les hommes par an et 450 millions de tonnes pour les baleines.  Et s’il y avait une protection absolue, même des espèces qui ne sont pas menacées, une croissance comme celle de l’espèce baleinière va représenter une rareté de stock des petits poissons. Alors c’est là où nos intérêts se recoupaient. Et que venir dans ce groupe de lobbying était vraiment un axe retour. C’est ainsi que nous sommes revenus et on a adhéré. Et quand on a adhéré, il y a eu l’axe retour, la coopération a été renforcée. Les infrastructures acquises depuis lors, je veux dire la 2e phase de Boulbinet où c’était 12 millions de dollars investis, il y a eu le bateau de recherche Général Lansana Conté autour de 10 millions de dollars donnés, il y a eu le marché de poissons de Kenien, il y a eu les entrepôts frigorifiques de Teminetaye, Bonfi, Kamsar… et un port qui va être inauguré bientôt. Donc cette coopération a porté, et jusqu’ici le Japon constitue le premier partenaire de la Guinée. Si on veut aller dans une évaluation économique, sans compter la formation des ressources humaines guinéennes, c’est une coopération tripartite qui s’est développée. Ça veut dire que les Japonais finançaient des bourses pour l’envoi des Guinéens pour suivre des formations dans les écoles spécialisées au Maroc. Si vous évaluez tout ça, l’impact est globalement positif.

Aujourd’hui est-ce que vous avez des difficultés dans vos fonctions? 

J’essaie de toujours m’investir avec l’accompagnement des autorités, Madame le ministre de la Pêche que je remercie. Je souhaite un jour avoir un bureau, m’installer, avoir des assistants et avoir des jeunes que je vais former, parce que cette dynamique-là doit continuer, car elle est porteuse et ne doit pas s’arrêter. Je souhaiterais travailler avec certains ministères tels que les Affaires étrangères, parce que dans le schéma que j’ai comme président, nous aurons des actions à déployer, qui ont une portée diplomatique. parce que la Commission baleinière c’est aussi de la technique et de la diplomatie. Ce qui fait qu’il y a des pays, le  commissaire représentant vient de la diplomatie. Comme aux États-Unis, c’est le représentant du département d’Etat qui est leur représentant au sein de la Commission baleinière. En France, ce sont les gens du Quai d’Orsay. Au Japon c’est le ministère de la Pêche, en Guinée c’est la Pêche. Et la Guinée s’est investie en collaborant avec des députés japonais, des autorités japonaises, on a fait du lobbying. Au départ à l’an 2000, on a été le premier pays africain et aujourd’hui nous sommes à 18 pays africains. C’est un rôle très important et c’est une dynamique qu’il ne faut pas arrêter, il faut continuer.

Entretien réalisé par BAH Alhassane et Saliou Diallo

 

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