La semaine dernière a été tout ce qu’il y a de plus funeste pour la circulation routière chez nous. C’est le moins qu’on puisse dire, avec les deux catastrophes survenues, coup sur coup, les mercredi 05 et jeudi 06, dans la préfecture de Mamou.
Un bilan en hausse
Le bilan cumulé de 24 morts au départ est remonté à 26, à ce jour. Deux victimes du second accident ont succombé à leurs blessures, à l’hôpital régional de Mamou. Le nombre de morts et de blessés que ces deux accidents ont généré est assez lourd pour s’estomper définitivement de nos mémoires.
Les effets induits des deux drames
Le pays tout entier a été affecté. Le Gouvernement aussi a réagi. Des enquêtes ont été ordonnées et des séries de mesures annoncées. L’objectif étant d’empêcher toute récidive de pareille calamité.
L’intention est louable et rentre dans le cadre de la mission régalienne de l’Etat qui est de protéger les populations en tout lieu et en toutes circonstances.
Pourvu que les dispositions envisagées soient effectives et pérennes. C’est tout le mal qu’on souhaite.
Souvenirs fugaces et sillons profonds
Aujourd’hui, avec le recul, l’intensité émotionnelle des premiers jours s’atténue. L’opinion publique semble dériver vers de nouveaux centres d’intérêt. Un phénomène sociétal bien connu. Ne dit-on pas d’ailleurs que Dieu a créé l’oubli pour permettre à l’homme de supporter les douleurs immenses auxquelles il peut être confronté dans la vie ? Seules restent ineffables les afflictions des familles qui ont perdu les leurs dans ces deux tragédies. Aussi celles des blessés, hospitalisés, ou en traitement ambulatoire, qui souffrent dans leur chair, s’interrogeant sur leur avenir.
Il est vrai que toutes les victimes sont prises en charge et consolées. L’Etat s’est investi, là également, en appui aux proches. Mais, si toutes ces victimes avaient eu le choix, leur préférence aurait été de ne pas être là où elles sont aujourd’hui. Elles auraient préféré qu’il n’y eût point d’accident. Chacun de ces hommes et femmes, enfants, chefs de famille, artisans, cadres et entrepreneurs, aujourd’hui victimes, ne cherchait qu’à vivre heureux comme tout autre et se déplacer librement, en parfaite sécurité, sur les routes de notre pays. Le malheur pour eux aura été de se trouver à bord de véhicules dont l’un ou l’autre des conducteurs a eu le geste qu’il ne fallait pas.
Dans la survenance des accidents, il est admis que l’homme commet toujours, à un moment ou à un autre, sur la route, une erreur, une négligence, une faute ou une imprudence. Contrairement à l’idée reçue et largement partagée, l’accident n’est pas l’effet du hasard ou de la fatalité. Il est du domaine de l’évitable.
Notons que ces deux accidents ont été constatés par la compagnie sécurité routière de Mamou, dont c’est la zone de contrôle. Les chefs d’escadron Koїkoї Goepogui, commandant et Yakouba Soumah, commandant adjoint nous ont relaté les circonstances qui ont prévalu pour chacun des deux cas.
Quid des protagonistes
Nous retiendrons d’emblée que dans le traitement de tout dossier d’accident, il existe un préalable qu’on ne peut pas occulter. C’est l’existence des protagonistes. Ce sont les protagonistes qui répondent devant la loi. Ils font partie des éléments constitutifs de l’infraction. C’est parmi eux qu’on trouve le, ou les, coupable (s) éventuels à incriminer. C’est à eux seuls qu’on peut imputer une responsabilité pénale en cas d’accident. Cela est motivé par le fait, bien précis, qu’ils sont les conducteurs des véhicules en cause. On doit toujours recueillir leur version des faits.
Notre insistance sur ce point tient du caractère particulier de ces deux accidents dont, deux des quatre chauffeurs ont trouvé la mort (celui du minibus en provenance de Kissidougou et celui de la R21, taxi, en provenance du marché hebdomadaire de Niagara). Le troisième, (celui du camion remorque) ne peut pas communiquer pour l’instant. Il souffrirait, selon la gendarmerie, de graves blessures aux mâchoires ayant nécessité son évacuation vers un centre spécialisé à Conakry.
Pour encore compliquer la procédure, voilà que le chauffeur du Toyota Land Cruiser VA3570 est introuvable. Selon toute vraisemblance, au moment de l’accident, il se rendait en mission à l’intérieur du pays. Aussitôt après, il a disparu. Profitant sans doute, de la confusion qui a régné, avant l’arrivée des gendarmes.
Voilà que le service constat n’a plus aucun chauffeur à interroger, pour l’instant. Les enquêtes restent donc ouvertes.
Etat des lieux
Nous sommes dans la zone de contrôle de la gendarmerie routière de Mamou. Tous les deux accidents se sont produits sur route nationale bitumée, avec des ornières visibles à certains endroits. Le premier, dans un virage au PK 47, en direction de Faranah et le second, sur un tracé rectiligne avec une bonne visibilité, au PK10, en direction de Dabola,
Infractions relevées
Pour chacun des deux cas, il a été noté une circulation à gauche de l’un des véhicules. C’est le cas du camion remorque, dont bien de conducteurs sont coutumiers des faits, surtout dans les virages et c’est aussi celui du Toyota land cruiser qui a roulé à gauche, juste pour éviter un trou sur sa voie initiale.
L’excès de vitesse a aussi été relevé à l’encontre de deux des conducteurs. Celui du minibus, pour le premier accident et encore, celui du Toyota land cruiser. A noter que le cas de ce dernier s’aggrave. Vu qu’il est introuvable, la gendarmerie indique que les charges retenues contre lui «grossissent» du délit de fuite.
Gestion de la sécurité routière
La gestion de la sécurité routière est partagée entre la police et la gendarmerie. La première intervient dans les centres urbains et la seconde en rase campagne. Ce domaine dévolu à la gendarmerie est très vaste. Il comprend tout le réseau inter urbain ainsi que les routes et pistes de l’intérieur du pays, conduisant aux districts ou secteurs les plus excentrés qui soient. Ces milliers de kilomètres nécessitent un maillage complet pour une surveillance parfaite et constante. C’est la mission dévolue aux huit compagnies sécurité routière évoluant à l’intérieur du pays et qui sont placées sous l’autorité directe du commandement de la gendarmerie routière. Il faut empêcher la commission d’infractions génératrices d’accidents en ces endroits souvent très isolés, où certains conducteurs se sentent en récréation et permis de tout faire. Il faut aussi lutter sans répit contre les coupeurs de route qui sévissent sur les routes inter urbaines. C’est en rase campagne que sont enregistrés les bilans d’accidents les plus lourds. Souvent en des endroits très distants, voire inaccessibles. Tout cela, ajouté aux autres missions dévolues à ce corps de sécurité, n’autorise aucun relâchement pour ces hommes et femmes qui restent mobilisés en permanence.
Evolution de la gendarmerie routière
A sa création en 2011, le commandement et les personnels de la gendarmerie routière ont bénéficié d’une formation à l’école nationale de gendarmerie de Sonfonia. Des mois durant, ces effectifs ont été soumis à d’intenses activités de préparation à leur future mission. Des cours de commandement, de police administrative et de circulation routière, d’endurance, de conduite motocycliste, de maintenance et réparation d’engins, pour ne citer que ceux-là, leur ont été dispensés par des formateurs-gendarmes, de la mission de coopération militaire française.
A la même période, la gendarmerie nationale s’est dotée de son premier pool d’instructeurs, jeunes sous-officiers universitaires, aptes à assurer toutes les missions de formation professionnelle des personnels.
C’est au terme de tous ces préparatifs que le Haut Commandement de la Gendarmerie Nationale, Direction de la Justice Militaire, bénéficiant de l’inestimable appui du Chef de l’Etat, a ordonné la sortie de cette nouvelle unité de sécurité routière, formée pour évoluer en rase campagne. Nous étions en 2012. Elle fut dotée d’une centaine de motos de diverses cylindrées. Cette heureuse initiative qui s’inscrivait dans la mise en œuvre de la réforme des forces de défense et de sécurité a été, vite, porteuse de résultats bénéfiques pour la prévention routière. Ces moyens roulants ont été bien accueillis par les agents récipiendaires. Lesquels ont réussi à en faire des outils efficaces de lutte contre l’insécurité routière, sous toutes ses formes. En peu de temps, la rase campagne s’est ‘apaisée.’ Les accidents de la circulation ont fortement baissé. De même, la nocivité des coupeurs de route a été refrénée.
Ces acquis n’ont pas tardé à être salués par les populations qui se sentaient protégées à la vue des gendarmes motocyclistes, sillonnant les routes, à toute heure du jour et de la nuit.
Notons que ces motos ont aussi servi à l’escorte des personnalités. Un autre volet des attributions de la gendarmerie routière.
Faiblesse des moyens d’intervention
Aujourd’hui, six ans après, tous ces moyens sont amortis. Malgré les efforts consentis par chaque unité, pour la maintenance et l’entretien de son ‘parc deux roues’.
Ces motos, intensément utilisées sur des routes souvent très difficiles d’accès, étaient des ‘sorties d’usine’, spécialement conçues pour les services de sécurité. Elles intégraient beaucoup de dispositifs particuliers dont, entre autres, la radiocommunication pour les échanges avec la base et des hauts parleurs pour s’adresser directement aux usagers en cas de nécessité.
Seul bémol, elles avaient été livrées sans pièces de rechange et le marché local ne pouvait pas en fournir. Elles ont donc progressivement disparu du paysage routier en rase campagne. Cette situation n’est pas sans conséquences. Elle risque de réduire les belles performances que la gendarmerie routière a enregistrées, des années durant, dans la lutte contre les accidents et toutes les formes d’insécurité en rase campagne.
Ne dit-on pas que « la peur du gendarme est le commencement de la sagesse? » Encore faut-il le voir partout, ce gendarme, pour que cela soit effectif !
La rencontre avec une patrouille motorisée fait toujours peur aux délinquants potentiels. Aussitôt qu’on aperçoit un agent motocycliste, on réduit la vitesse. Ce simple réflexe renforce la prévention.
Il est largement démontré que la mobilité des agents sur la route reste un des moyens dissuasifs les plus efficaces contre la commission d’infractions. Les usagers sont embarrassés et se disent que les gendarmes sont partout. Ils les imaginent, nombreux à les surveiller, sans relâche.
Par contre, si les mêmes agents sont à pieds, ou si on sait qu’ils sont cantonnés en un lieu fixe pour le contrôle, alors les astuces ne manquent pas. On prépare les meilleurs stratagèmes pour paraître ‘blanc comme neige’ devant les vérificateurs les plus tatillons ou pointilleux.
Importance des moyens
Les gendarmes sont généralement alertés chaque fois qu’un accident se produit. Cela peut survenir à une centaine de kilomètres de leur base. Bien souvent, ils se retrouvent en des endroits où, même les motos se révèlent inadaptées, inopérantes. En ces lieux, c’est plutôt des véhicules automobiles qu’il leur faut. Or, ils n’en sont pas dotés, pour le moment.
Sur le terrain, ils sont souvent confrontés à diverses réalités. Au-delà du constat qu’ils ont l’obligation de faire, leur sens du devoir les conduit parfois à innover pour tenter de protéger et servir tous ceux qui sont en détresse. Ils font face à des victimes qu’il faut secourir, des auteurs présumés à interpeller, des bagages, marchandises, numéraires, objets de valeur à collecter et consigner, des véhicules accidentés à surveiller ou tracter ….. La tâche est ardue !
En général, hormis les éventuelles réquisitions, la gendarmerie fait toujours recours aux structures administratives ou aux syndicats qui mettent des véhicules et des personnes de bonne volonté à leur disposition.
Ce qui n’est pas sans risques pour l’image et l’autonomie du service.
Renforcement de la prévention routière
Dans le cadre de la décennie d’action pour la prévention routière (2011-2020) les Nations- Unies recommandent à tous les pays membres de s’engager à agir efficacement sur cinq piliers qui sont : la gouvernance, les infrastructures, la sécurité des véhicules, la sécurité des usagers de la route, les soins post-accident.
Sept ans après la mise en œuvre de cette disposition onusienne, le regard que nous portons sur chacun de ses volets prédéfinis est loin d’être serein. Il y a encore beaucoup à faire avant d’atteindre les objectifs fixés. L’Etat commence à donner des signes. La création d’une agence nationale de sécurité routière est annoncée. De même, d’autres activités qui concernent les quatre premiers piliers vont être ranimées. La réinstitution de la visite technique, la réimmatriculation du parc automobile, la sécurisation des permis de conduire, la promulgation du nouveau code de la route, l’amélioration des infrastructures, le renforcement de la signalisation routière …. , sont de celles-là.
Les soins post accident n’ont pas figuré dans cette panoplie de mesures, remises à flot. Il s’agit du cinquième pilier onusien dont l’importance est si évidente qu’il n’y a pas à penser qu’on l’ait occulté. Il traite de l’après-accident, toutes les dispositions à mettre en œuvre pour accroître les chances de survie ou de guérison des victimes. Parmi celles-ci, on peut citer la formation des urgentistes pour une meilleure prise en charge des victimes et l’approvisionnement correct de leurs structures en médicaments essentiels pour les premiers soins, la formation en secourisme de tous les usagers de la route, l’institution du SAMU(service d’aide médicale d’urgence), l’accroissement du taux de couverture en assurance automobile, le renforcement des capacités du Fonds de Garantie Automobile (FGA)…
Nous rêvons de voir le jour où, après un accident, on voit arriver rapidement le Samu ou les pompiers, pour secourir et transporter convenablement les victimes, vers des professionnels de sante, attentifs et compétents, disposant des moyens nécessaires requis et prêts à faire le geste qui sauve, sans attendre rétribution.
Que ce rêve s’accomplisse et nous serons alors dans la bonne direction, pour une prévention routière accomplie !