La répétition de ces catastrophes routières souvent mortelles a atteint un seuil tel, que les populations ont entrepris depuis quelques années, de faire leur propre police et de sanctionner de façon radicale et sans appel, tout camion impliqué dans un accident. C’est ainsi que, dans un premier temps, on se limitait à la démolition du véhicule. Puis progressivement, les accidents graves se répétant, nos ‘’justiciers’’ ont entrepris d’utiliser le moyen radical le plus convaincant à leurs yeux : brûler systématiquement le ou les véhicule (s).
Cette situation aux relents anarchistes et justiciers a entrainé bien des excès et dérapages. De nombreux jeunes y ont pris goût et un ‘’panurgisme’’ s’en est suivi qui a conduit à ’’l’exportation’’ de cette méthode expéditive vers d’autres contrées.
C’est ainsi que, de Dubréka son épicentre, elle a migré dans la zone de Boké où des vandales s’en sont pris quelque fois, à des camions de transport de mines, qu’ils ont entièrement cramé.
Quelles peuvent être les causes d’un pareil phénomène ?
A l’évocation des motifs d’un tel acharnement, on est surpris des arguments avancés. Nous sommes à la limite du puéril et de la bêtise. Souvent, nous avons noté qu’il a suffi d’un rien pour que le pire se produise : une incitation, un simple mouvement d’humeur, une polémique ou une dispute sur les lieux de l’accident. Un meneur-pyromane infiltré dans le groupe des riverains, nombreux sur les lieux, exploite aussitôt la situation. Et voilà que briquet et essence sont brandis, comme pour une séance d’exorcisme, pour faire…feu ! Et l’irréparable se produit. Le camion brûle jusqu’aux… jantes, pour ne pas dire jusqu’aux os !
Les années passées ont été émaillées d’exemples de ce genre, notamment dans les préfectures de Dubréka et Boké.
Effets collatéraux
Il fut un moment où les conducteurs de camion s’aventuraient sur l’artère Dubréka-Boffa, la peur au ventre. Ils étaient inquiets de subir le même sort que leurs collègues dont les restes de camions incendiés en bordure de route leur rappelaient les drames vécus et les risques encourus. Pire, cet état de fait a créé chez les chauffeurs la hantise du lynchage. Pour utiliser un euphémisme, ils couraient le risque de passer un mauvais quart d’heure au milieu d’une foule déchainée et prompte à rendre justice en s’en prenant, gratuitement, au chauffeur incriminé. Une bastonnade en règle pouvait s’en suivre, dont l’issue était incertaine. Un vrai lynchage, pour tout dire, même si par ailleurs, jamais un chauffeur n’en est mort, jusqu’à ce jour. Heureusement !
Cette éventualité, ‘’formatée’’ dans la tête des chauffeurs, a fait remonter le nombre de délits de fuite constatés ici et là par la gendarmerie routière. Après accident, les chauffeurs quittent précipitamment les lieux pour, disent-ils, avoir la vie sauve. La plupart d’entre eux part se constituer prisonnier dans le service de sécurité le plus proche.
Dans un tout autre registre, on en était arrivé au point de compliquer la tâche aux gendarmes qui avaient peine à faire le constat, tellement les lieux d’accident étaient encombrés, envahis par une foule compacte qui braille et s’agite. Certaines fois, à leur arrivée, le feu dévorait déjà le ‘’pauvre camion’’, pourtant ‘’innocent’’. Il leur fallait alors, de prime abord, gérer cette situation du mieux que possible, avec l’espoir que les indices intéressant le constat soient encore visibles et lisibles après les nombreux va et vient des populations, sur le terrain.
Une situation anarchique et de non droit
Ce comportement des populations a toujours été déploré par les autorités et les personnes soucieuses du bon ordre public. Il s’agit d’une pratique qui n’a rien de commun avec la justice. C’est loin d’une pédagogie pour améliorer un comportement ou dissuader de la commission d’autres accidents. C’est plutôt d’abus qu’il s’agit, de violence gratuite, d’appauvrissement de tiers par annihilation de leur moyen de subsistance. Et même s’il est avéré que la responsabilité d’un conducteur de camion est pleine et entière, ce n’est pas sur les lieux de l’accident que cela est déclaré.
La procédure en la matière est claire. Elle nous renvoie d’abord aux gendarmes chargés du constat qui ne se prononcent qu’à leur base, jamais sur les lieux d’un sinistre. Eux seuls peuvent déterminer la ou les responsabilités des personnes impliquées. Nul autre, quelque soit la gravité de l’accident, n’a le droit de se prononcer là-dessus. Encore moins de se rendre justice ou de rendre justice au nom ou au profit d’autrui.
C’est à la gendarmerie routière seule qu’il incombe, en rase campagne, de faire un constat, dresser un procès-verbal et transmettre un dossier d’accident au tribunal. Le nier, c’est faire preuve d’attitude assimilable à une obstruction, à une usurpation de titre et de fonction et si jamais il y a incendie, à une destruction volontaire de biens privés.
Dans tous les cas, sans même faire recours aux juristes, le bon sens à lui seul, peut nous amener à comprendre que dans aucun cas de catastrophe routière, le véhicule isolément pris n’est tenu pour responsable de ce qui est arrivé. Il ne peut donc être objet de ‘’sanction ‘conduisant à sa destruction ou à sa carbonisation. Et s’il arrivait que son conducteur n’ait pas tort dans l’accident, c’est alors à l’auteur de sa destruction de passer des nuits blanches. Il devra, dans les conditions normales, répondre de son acte devant la loi.
Les camions d’agrégats : un mal nécessaire
Nous l’avons déjà dit plus-haut, ces camions privés, de transport d’agrégats n’ont pas bonne presse aux yeux de l’opinion. Cela est connu et largement partagé par les riverains des routes qu’ils empruntent pour leurs livraisons. Pour autant, il ne faut pas nier qu’ils sont de grands contributeurs au développement immobilier et infrastructurel de la capitale et des préfectures voisines : (Dubréka et Coyah).
Dans une large proportion, le sable nécessaire aux milliers de chantiers de tous ordres, réalisés, en cours d’exécution, ou en projet, est transporté par eux. Voilà pourquoi, ils sont des centaines à emprunter chaque jour la route nationale n°3, en direction de Tanènè.
Que cela soit important à prendre en compte est une évidence qu’on ne peut pas nier.
Si, par extraordinaire, ces camions cessaient de circuler, même un seul jour, la répercussion serait énorme sur le rythme et le coût des travaux d’aménagement d’infrastructures et de construction immobilière. C’est donc un mal nécessaire qu’il faut encadrer et accompagner pour qu’il se passe dans l’efficacité et la sécurité.
D’où tire-t-on donc tout ce sable qui attire tant de camions sur la route ?
Les carrières de sable se trouvent pour l’essentiel dans le district de Koubia, sous- préfecture de Ouassou. C’est l’explication de la présence incessante des camions qui circulent à toute heure du jour et de la nuit dans la zone. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter, du moins tant que les carrières demeurent. Aux dires des géologues rencontrés, tout porte à croire qu’elles ont de beaux jours devant elles.
Koubia est une localité située à quelques 08 km de Tanènè. Elle est très fréquentée en raison des carrières qu’elle abrite, de la densité de sa population, mais aussi de sa position géographique qui en fait une plaque tournante. C’est un grand carrefour qui mène au barrage de Kaléta. C’est aussi la zone des carrières dont les principales sont situées à: Tongobofo, Gbéréyiré, Sangayah et Yafarayah..
L’état technique des camions en question
La grande majorité du parc de camions en circulation est vétuste ou sinon à la limite de l’acceptable. On en rencontre qui sont de bonne apparence, surtout ceux des sociétés et entreprises de BTP. Ils sont de qualité appréciable. Mais l’apparence seule ne suffit pas à conclure qu’un camion répond aux normes de transport auxquelles il est soumis. Quand on évoque les pannes fréquentes qu’ils enregistrent sur la route et les incidents techniques évoqués dans les cas d’accidents où ils sont impliqués, on en vient à douter de leur qualité technique optimale.
Nécessité de la visite technique
Au-delà de l’entretien courant qui est une astreinte quotidienne dévolue à chaque utilisateur de camion, il est à rappeler que la visite technique reste une obligation que les autorités viennent de réactualiser le 28 octobre dernier.
A l’occasion, nous citons le ministère des Transports qui a annoncé avoir institué « des mesures visant à renforcer le contrôle de l’aptitude technique des engins roulants dans le but bien compris de lutter plus efficacement contre la prolifération des accidents routiers dus aux défaillances techniques des véhicules ainsi que leurs conséquences sur la vie des personnes et des biens. »
Se référant à l’arrêté 3918/MT/CAB/SGG/19 portant contrôle technique périodique obligatoire, le département en charge des Transports a informé «les propriétaires, chauffeurs et usagers, de la reprise à compter du 1er décembre 2019, des opérations de passage au contrôle technique périodique obligatoire, sur toute l’étendue du territoire national. Dans un premier temps, ce contrôle va concerner les catégories de véhicules ci-après : véhicules affectés au transport des hydrocarbures ; véhicules affectés au transport de matières dangereuses ; véhicules affectés au transport de voyageurs de plus de 25 places ; véhicules affectés au transport de marchandises de plus de 20 tonnes ; véhicules affectés au transport d’agrégats. »
Plus loin, le département des Transports a indiqué que ce-dit contrôle technique périodique obligatoire «doit s’effectuer dans les centres environnement et sécurité automobile (CESA) ou centres de visite technique automobile agréés à cet effet.»
Prenant sans doute en compte la reprise difficile de cette activité disparue du contexte national depuis plus de deux décennies et aussi la propension des détenteurs de véhicules de chez nous à trainer le pas dans l’application des textes règlementaires de cet ordre, le département a haussé le ton pour rappeler que « les contrevenants seront sanctionnés conformément à la règlementation en vigueur. »
Où en est-on de l’application de cette disposition règlementaire ?
Nous sommes en fin décembre et jusqu’à ce jour, aucune ligne n’a bougé. Silence radio total. Pour le directeur de Socotac, un des centres agréés, seuls les véhicules de transport d’hydrocarbures se soumettent librement à cette mesure.
S’agit-il d’un déficit de communication, d’une lenteur à ‘’réveiller’’ une habitude qui a longtemps hiberné dans la conscience collective, d’un déficit d’appropriation et de synergie des acteurs- partenaires (syndicats et union), d’une compréhension limite de l’importance du sujet ?
Toutes ces questions restent posées. Et il faut bien que le ministère, en plus de son appel au « sens civique et à la responsabilité des usagers » prenne les dispositions qu’il faut pour enclencher le démarrage effectif de cette activité. On ne peut pas comprendre qu’il n’y ait pas un début d’exécution d’une décision que les pouvoirs publics initient dans l’intérêt bien compris des citoyens et de leurs biens.
Pendant ce temps, les incidents techniques générateurs d’accidents sont régulièrement enregistrés par les services de sécurité. Moins la surcharge qui accentue la destruction du réseau routier, la liste est longue des cas cités dans les accidents de camions : un pneu qui éclate, un système de freinage inefficace, un pare-brise fêlé ou voilé, un système d’éclairage insuffisant ou défectueux, une direction en déséquilibre ou une suspension défectueuse, etc…
L’origine de la levée de boucliers contre les camions de transport d’agrégats
On commençait à oublier la violence sur l’itinéraire des camions d’agrégats. Accalmie et répit semblaient s’être combinés pour refroidir les ardeurs des jeunes, friands d’incendie de véhicules ou de forfaits connexes. Mais, que cette accalmie, ne nous fasse pas espérer une rémission totale. Les vieux démons sont là, qui couvent sous la braise de notre crédulité, de notre certitude que le calme est définitivement acquis.
De temps en temps, des soubresauts nous rappellent que le feu peut reprendre à chaque instant, si on n’y prend garde. Cela se vérifie à l’occasion des accidents graves qui font des victimes.
Comme ça a été le cas le jeudi 19 décembre, aux environs de 14 heures, à Gomezia, dans la sous-préfecture de Khorira où la survenue d’un accident mortel a entrainé quelques scènes de violence dans la contrée. A cause de la mauvaise publicité qui en a été faite.
Ce jour, on a vu spontanément, des groupes de citoyens s’en prendre aux camions privés de transport d’agrégats qu’ils ont interdit de circuler. Devant l’ampleur de l’évènement, les services de sécurité, ont dû intervenir pour rétablir l’ordre. Des investigations ont été menées pour connaitre l’origine de l’incident. Il se trouve que tout est parti d’un citoyen qui a propagé une information erronée.
Selon l’adjudant-chef Abou Latè Dounamou, chef de poste gendarmerie routière, chargé de constat à Tanènè, le lanceur d’alerte non identifié, par qui tout est arrivé, a juste aperçu une voiture accidentée sur le bas-côté de la route. Il a aussitôt déduit que le camion qu’il venait de croiser quelques instants auparavant, était l’auteur et juré que celui-ci commettait un délit de fuite. Il a propagé cette information erronée, tout autour de lui. Et les populations se sont rapidement mobilisées pour s’en prendre aux camions d’agrégats, privés. La suite a été décrite plus-haut.
Pour le chef de poste gendarmerie routière de Tanènè, c’est connu, les mauvaises nouvelles se répandent vite, comme une trainée de poudre. Selon lui, cet accident s’est produit à Gomeziya, un district situé à 18 km de Tanènè vers DubréKa. A la date et heure indiquées plus haut, une voiture Nissan en provenance de Tanènè roulant à vive allure avec des passagers à bord, a subitement dévié de sa trajectoire pour heurter un arbre sur le bas-côté de la route. Deux victimes mortelles ont été enregistrées : une femme et sa fillette âgée de deux ans. Selon l’adjudant-chef A. L. Dounamou c’est l’excès de vitesse qui est la cause de cet accident. Le chauffeur incriminé roulait très vite, lorsque soudain il aperçoit un nid de poule qu’il tente de dévier. La manœuvre précipitée provoque une embardée de son véhicule. Il ne réussit pas à redresser sa direction. C’est alors que le véhicule est allé contre l’arbre pour s’y heurter violemment.
Pour la gendarmerie routière, ce genre d’accident est intitulé dans leur jargon technique: accident sans tiers, ou contre lui-même. »
Depuis l’accident, le chauffeur ne s’est pas présenté à la gendarmerie. Il est en fuite.
La sensibilisation, un outil précieux pour apaiser les tensions
Un bel exemple en la matière vient d’être donné par les responsables de la commune rurale de Khorira.
Aussitôt que les incidents de Gomezia ont pris fin, les autorités de la sous préfecture ont pris les devants pour apaiser la situation.
Le sous-préfet Bakary Condé a convoqué une réunion au siège de la mairie, à laquelle ont pris part, le maire de la commune rurale Ibrahima Sory Bebel Bangoura et son adjoint, les citoyens de la localité, la gendarmerie routière, les syndicats de chauffeurs de Conakry, Coyah et Dubréka.
L’objectif était de ramener le calme et la sécurité sur la route et entre les populations et les chauffeurs de camions. Au terme d’échanges fructueux, la rencontre a permis de désamorcer la crise et le climat de méfiance entre les transporteurs d’agrégats et les populations riveraines de la route nationale n°3. Les quelques mesures ci-dessous adoptées et listées renforcent cette espérance : vitesse limite imposée aux camions (40 km/h, quand ils sont chargés et 60 km/h, quand ils sont vides) ; interdiction formelle aux mineurs de conduire les camions; interdiction à tout citoyen de se rendre justice sur les lieux d’accident en incendiant les camions ou en lynchant les chauffeurs.
Pourvu que ces mesures connaissent une application immédiate et pérenne.