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Botorë-Mamou : A la découverte du mausolée de Bokar Biro, le dernier Almamy du Fouta (Reportage)

«Le Fouta n’a pas voulu me porter secours à Porédaka, le Fouta ira à Daka poré (à la récolte du caoutchouc) », dixit Almamy Bokar Biro

Boubacar Biro, le dernier Almamy du Fouta a été tué par les Français en novembre 1896 à Botorë, un district relevant de la sous-préfecture de Niagara, située, elle, à 93 kilomètres de la ville de Mamou. L’Almamy Boubacar Biro Barry tout comme l’Almamy Samory Touré, a été l’une des grandes figures de la résistance à la pénétration coloniale en Guinée.

La rédaction locale de Guinéenews© basée à Mamou est partie cette semaine à la rencontre des habitants de Botorë pour tenter de reconstituer l’histoire et les circonstances réelles de la mort de Boubacar Biro ; de comprendre l’impact de la présence de cette tombe à Botorë et toucher du doigt aux difficultés que traversent les populations de cette localité.

Le récit tel que raconté dans les livres d’histoire

Les historiens nous enseignent que « le royaume du Fouta théocratique, qui, grâce à son organisation, a connu dans la seconde moitié du 19ème  siècle une crise politique et sociale. Ce déséquilibre était accentué par l’alternance au pouvoir à Timbo, tous les deux ans des deux familles régnantes (les Soriya et les Alphaya). Les candidats au trône avaient souvent recours aux armes pour briguer ou conserver le titre d’Almamy, affaiblissant par ce fait l’autorité du pouvoir central. C’est dans ce contexte de crise politique que Boubakar Biro Barry, de la tribu Soriya, accède au pouvoir en 1890 après avoir vaincu par les armes et éliminé physiquement son frère, Alpha Mamadou Pathé.  Il était alors âgé de 38 ans. Bien bâti physiquement, son visage lui donnait, aux moments de colère, une expression redoutable

A cette époque, le Fouta-Djallon était déjà menacé par la convoitise des Portugais établis en Guinée-Bissau, des Anglais établis en Gambie et en Sierra-Leone, et surtout des Français qui avaient acquis des positions stratégiques au Sénégal, dans les Rivières du Sud et au Soudan.

« L’énergique Boubacar Biro, le dernier grand Almamy du Fouta-Djallon souverain, qui avait donné la preuve de sa bravoure dans tous les combats menés auprès de son père, l’Almamy Oumar, s’était assigné un double objectif : consolider le pouvoir central et, donc, sauvegarder l’indépendance du Fouta. Almamy Boubacar Biro qui avait dénoncé le prétendu traité de protectorat signé entre la France et le Fouta-Djallon en 1881 et surtout du fait qu’il soit allié  militairement avec Almamy Samory Touré, va attiser sur lui les foudres de la colère des Français. Lesquels vont alors exploiter judicieusement les oppositions internes à la politique ‘’autoritaire’’ de l’Almamy Boubacar Biro pour conquérir le Fouta-Djallon le samedi 14 novembre 1896 à la célèbre bataille de Porédaka précisément à Fello Bomba. Ce jour-là, trahi par la plupart des chefs, Boubacar Biro affronta seul, avec un contingent de Samory  l’armée française du capitaine Muller. L’Almamy Boubacar Biro paya chèrement de sa vie pour sauvegarder l’indépendance du Fouta-Djalon », apprend-on.

La reconstitution des faits avec l’aide des populations locales

Après avoir lu ces leçons d’histoire, nous avons pris le chemin de Botorë sur moto où nous sommes arrivés le samedi 3 mars dernier, 121 ans après la mort de l’Almamy Boubacar Biro. 17 kilomètres séparent le chef-lieu de la sous-préfecture au district de Botorë. Notre guide Alpha Ibrahima, un natif des lieux, informa les notables de notre arrivée sur le terrain. C’était pour eux une première d’accueillir un journaliste dans leur localité.

Sur les lieux, nous avons rencontré un fils d’un ancien collaborateur de Boubacar Biro. Avec Thierno Ibrahima Bemba Bah, âgé d’environ 100 ans, nous avons tenté de reconstituer les derniers moments de la vie de l’Almamy.

« Selon les récits qu’on a appris de nos parents, c’est à la suite de la bataille dePorédaka que l’Almamy Boubacar Biro qui cherchait à rejoindre Sokotoro, chez lui, est arrivé, fatigué et affamé à Botorë après 3 jours de marche à pied et sans aucune chaussure. Il vivait chez Alpha Mamadou Noumou qui était le chef de Botorë. Sur place, l’Almamy rencontra Alpha Oumar Foundenya qui lui trouva une cachette à côté de la tête de source du marigot Silikarë et lui apporta de la bouillie mélangée au lait écrémé. Les guerriers du clan Alphaya, conduits par Mody Amadou, à la poursuite de l’Almamy Boubacar Biro arrivèrent à Botorë et rencontrèrent Alpha Oumar Foundenya revenant de la cachette de l’Almamy avec une calebasse en main. Il fut interrogé sur les nouvelles de l’Almamy Biro. Alpha Oumar s’abstint de donner des informations sur l’Almamy Boubacar Biro. C’est ainsi que les guerriers suivirent les traces de Alpha Oumar jusqu’à la cachette de l’Almamy Biro qui piqua aussitôt une colère noire.  Qui me marche dessus avec ses chaussures ?  Tous les guerriers prirent la fuite. Puis ils ouvrirent le feu sur l’Almamy Biro protégé par un gilet de talisman, les balles détruisirent le bouclier et le roché sur lequel l’Almamy était installé. Il descendit au marigot pour faire ses ablutions et donna deux rakaat à Dieu. Il enleva ses talismans et les remis à Malan (un Sofa de Samory Touré, son allié. Celui-ci disparu vers Sokotoro et déclara, citation : « Le Fouta n’a pas voulu me porter secours à Porédaka, le Fouta ira à Daka poré (à la récolte du caoutchouc), vous allez être soumis à l’impôt ». Le guerrier Sita Bendougou tira ensuite une balle sur l’almamy Biro qui lui sera fatale.  C’était le lundi 18 novembre 1896. Une altercation éclata entre les guerriers qui voulaient la décapitation de l’Almamy Boubacar Biro et les notables de Botorë qui se sont opposés à la mutilation d’un Abassiou du Fouta dans leur localité. Des commissions ont été envoyées partout pour les funérailles »,  nous a-t-il expliqués.

Pour la cérémonie funéraire, des provisions ont été apportées. A propos, le doyen centenaire relate : « Mama Sati Dougoutigui a offert un bélier et une couverture, Thierno Amadou Sourgua donna un taureau et du riz, Mama Satimi Modou apporta une chèvre. Mama Sany, quant à lui, fourni le linceul. Alpha Ousmane Sarouta, Mamadou Bhoyi, Boubacar Bouti et Satimi Modou ont été désignés pour les toilettes mortuaires de l’Almamy Boubacar Biro. Thierno Ibrahima Diogo Foudenya diriga la prière funèbre. Après l’inhumation de l’Almamy Boubacar Biro, les guerriers décidèrent de l’exhumer et le décapitèrent et emportèrent sa tête au commandant Beckman qui les attendait à Timbo

L’aspect physique de la tombe de Boubacar Biro

Au cimetière où repose Almamy Boubacar Biro, seule la tombe de l’Almamy occupe le flanc Est des lieux. Pour accorder un respect à Almamy Boubacar Biro, les populations n’utilisent  que la partie Ouest pour enterrer leurs morts. Pour immortaliser la tombe qui mesure 5 mètres environ, les habitants des lieux l’ont délimité par des piquets de bois.

Thierno Boubacar Bah, l’imam principal de Botorë rappelle le rituel organisé en la mémoire de l’Almamy : « Jusqu’à maintenant, nous entretenons la tombe. Nous organisons des rituels pour le repos de son âme. Une fois quelqu’un de notre village a rêvé que l’Almamy se plaignait de la poudre des cannons de la bataille de Porédaka. L’Almamy a souhaité que les populations procèdent à un sacrifice de bouilli et de l’eau. Nous avons ainsi puisé de l’eau en quantité pour arroser la tombe. Nous guidons aussi certaines personnes qui viennent prier ici…»

Les difficultés des populations de Botorë

L’unique voie qui relie Niagara à Téguéreya, dans un état dégradé, mène au district de Botorë qui est situé sur un plateau à l’Est de la sous-préfecture. Cette piste est l’œuvre des populations locales.

 

Alpha Ibrahima Bah, le président du district de Botorë égrène certaines difficultés auxquelles ses populations sont confrontées : «notre localité dispose de peu d’infrastructures. Une école de deux classes construite en banco accueille les enfants de tous les villages du district. Ceux-ci parcourent chaque matin, des kilomètres et des kilomètres pour y arriver. Il n’y a qu’un poste de santé. Nous n’avons pas de forage. Il n’y a qu’un seul puits où nous puisons chaque matin. L’Etat ou les autorités locales n’accordent pour le moment aucune importance à la présence de cette tombe chez nous. Pourtant, elle devrait être un patrimoine touristique. Nous sommes abandonnés à nous…»

Il appartient aux nouvelles générations auxquelles nous appartenons tous, de ressusciter enfin le grand dessein politique né de l’alliance entre Bokar Biro (Boubacar Biro, NDLR) et Samory Touré, eux qui ont accepté de sacrifier leur vie en luttant farouchement contre l’invasion coloniale française dont l’objectif était de placer la Guinée sous le joug de la colonisation. Ces deux figures de proue comme d’autres en Guinée, se sont battus pour pouvoir sauvegarder, dans l’unité, l’intégrité de nos royaumes et empires contre la domination coloniale.  

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