Site icon Guinéenews©

Belmondo, un musicien du Horoya Band ressasse sa rage contre Sidya Touré, parle de sa santé et de son parcours (entretien)

« J’en appelle à l’aide de tous pour recouvrer ma vue… La façon dont ils nous ont exproprié notre siège de la Minière restera comme une déchirure morale éternelle pour nous, membres de l’orchestre national de Horoya Band.

Je vais vous dire une réalité aujourd’hui, c’est ce chagrin qui a écourté les vies de Lancinet Kanté (chanteur) et Lansana Condé (guitariste soliste).

Et qui nous a retiré ce domaine ? C’est la deuxième personnalité du pays d’alors en l’occurrence monsieur Sidya Touré. Ce domaine nous a été octroyé par décret présidentiel et mis dans le portefeuille du ministère de la Culture et de la Jeunesse à l’époque. C’est ainsi que le ministère a fait des arrêtés en affectant un domaine à chaque ensemble orchestral national. J’ai tous les documents officiels concernant ce domaine de la Minière.

Quand M. Sidya Touré sollicitait avoir la minière, il avait fait une correspondance adressée au ministre de tutelle d’alors qui était Michel Kamano. Ce dernier lui a fait un mémorandum, si toutefois la prise de la Minière est incontournable. Des conditions étaient bien indiquées dans ce mémorandum. Je détiens tous ces dossiers. Certainement, c’est cette résistance du Michel Kamano qui lui a valu sa destitution. Feu Mongo Diallo par la suite a été nommé à ce poste. C’est au temps de feu Mongo que la lettre a été faite et la vente du domaine a eu lieu. 

C’est dommage, nous avions tapé à toutes les portes afin de nous restituer notre domaine, rien n’en est et tout le monde connait la réalité et personne n’y fait cas. C’est mon cri du cœur permanent. Le Horoya Band peut renaitre de ses cendres et malheureusement, il n’y a aucun moyen créé pour favoriser cette reprise, à cet effet. Nous sommes donc à l’orphelinat pour le moment. »

 II s’appelle Ansoumane Kaloga, reconnu sous le nom de ‘’Belmondo’’, pseudonyme tiré du nom de l’acteur du cinéma français ‘’Jean Paul Belmondo’’.

Ansoumane Kaloga, bien que portant le nom d’un célèbre cinéaste français, reste un musicien dans l’âme. Il est membre de l’orchestre national le Horoya Band depuis Kankan jusqu’à sa nationalisation par décret le 7 décembre 1971.

Rythmicien, il a participé à toutes ces péripéties qui ont valu à cet ensemble, sa plus grande renommée sur le plan national et international.

Rencontré à son domicile au quartier Dixinn, l’homme aux baguettes magiques du passé glorieux de la musique guinéenne, aujourd’hui malvoyant et toujours actif, s’est livré aux questions de votre site électronique Guinéenews dans sa rubrique ‘’Que sont-ils devenus ’’.

Il est né le 13 mars 1948 à Kankan ville. Fils de feu Lanfia et de feue Dianka Sylla, Ansoumane Kaloga est marié, père de 6 enfants dont 5 vivants (2 garçons et 4 filles).

Ansoumane ‘’Belmondo’’ a connu des cycles d’études assez perturbés. Très tôt confié à son oncle, il débutera difficilement ses études primaires puisqu’il avait dépassé l’âge fixé pour l’inscription. D’une tractation à une autre, il parviendra finalement après falsification de son extrait de naissance (prénom et date de naissance) à intégrer l’école primaire de Kankan pour suivre les cours d’adulte.

Il rejoindra plus tard son père qui est compagnon de l’indépendance installé à Guéckedou depuis 1929. En raison de changement d’identité, il sera obligé de reprendre l’école primaire. Ce qui sous-entend un autre retard pour Ansoumane Kaloga dans la poursuite de son cursus scolaire. Néanmoins, de fil à aiguille, Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ poursuivra ses études jusqu’en 11ème année, où la musique prendra finalement le dessus.

Actuellement enseignant contractuel, il donne des cours pratiques de batteries à l’Institut supérieur des Arts Mory Kanté de Dubréka et joue parallèlement en compagnie de African groove, ensemble orchestral dirigé par Maitre Mamadou Aliou Barry et le 22 band de Kankan conduit par Laye ‘’Dodo’’ Diabaté.

Très courtois et d’une diction concise et précise, dans cette interview qu’il a bien voulu accorder à Guineenews, cet artiste malvoyant nous dévoile son parcours musical qui pris corps et âme entre Guéckédou, Kankan, Bamako et Conakry.

Malvoyant et opéré des yeux depuis 3 mois à Kankan, Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ reste très pessimiste quant à la réussite de cette intervention. Il dévoile son carnet de santé et appelle à une aide pour une évacuation sanitaire avant qu’il ne soit trop tard.

L’artiste ‘’Belmondo’’ nous plonge dans ses beaux et mauvais souvenirs, étale ses sources de revenus et très remonté, pousse son cri du cœur à l’endroit d’un haut responsable du pays, qui, dit-il, a exproprié le domaine octroyé par décret présidentiel à l’ensemble orchestral le Horoya band national, dont il est membre fondateur.

Lisez l’interview

Guinéenews : dites-nous comment vous êtes venu à la musique et retracez-nous votre parcours ?

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : c’est à Guékédou que je suis venu à la musique. C’était par le biais d’un toumbiste du nom de Lanfia qui jouait dans le Kébéndo Jazz de Guékédou. Il avait un style qui me plaisait bien à la Tumba et j’avais le plaisir de l’écouter. C’est ainsi que ce musicien m’a approché pour m’initier à cet instrument. Donc mon premier instrument pratiqué est la Tumba au sein du Kébéndo Jazz.

En 1967, je suis revenu à Kankan et à l’époque, il y avait 7 orchestres à Kankan ville notamment le Horoya Band, le normalien jazz, l’orchestre de kankan1, celui de Kankan2, le mini-orchestre, l’orchestre du camp militaire, Union Band.

A mon arrivée, j’ai intégré l’orchestre de Kankan 2 appelé ‘’Kènkèyaké’’. Je jouais aussi avec le Horoya Band dont je maitrisais bien le répertoire et finalement j’étais le deuxième toumbiste qui remplaçait le doyen Lamine Camara, chaque fois qu’il partait en congé.

Dans le parcours, j’ai été aussi recruté pour aller au Buffet de la gare de Bamako où un mécène avait trouvé des instruments et qui n’avait pas de musiciens. Pendant 2 ans, j’ai évolué à Bamako au sein de cet ensemble orchestral.

Revenu en congés à Kankan, il sera obligé d’y rester plus que prévu à cause du décès de son premier garçon. Entretemps, j’ai eu des contacts avec le chef d’orchestre du Horoya band, Papa Mitoura Traoré et son adjoint Lamine Camara. Histoire de former un orchestre type. J’ai demandé à ce qu’ils aillent rencontrer mon père qui ne voulait pas que je fasse la musique et c’est ce qui a fait que je suis parti pour Bamako. En compagnie du secrétaire fédéral d’alors du nom de M’Bemba Traoré, mon père accepta leurs doléances à condition que je ne chante pas. Je savais imiter Demba Camara et Djély Fodé Diabaté qui fut mon idole.

L’orchestre m’a donc affecté aux timbales. C’est à l’arrivée de nouveaux instruments où il y avait la batterie que je me suis personnellement initié sans l’aide d’aucun maitre. C’est à travers les notes de batteries des chansons anglaises dénommées ‘’Get Ready’’ et ‘’Take five’’, que j’ai appris petit à petit la batterie pour enfin devenir jusque-là, le titulaire au sein du Horoya band national.

Moins productif actuellement au sein de cet ensemble national à cause des moyens qui ne sont pas à disposition, je joue en compagnie du groupe de Maitre Barry et le 22 Band de Kankan. Bref, voici comment je suis venu à la musique, un bout de mon parcours dans la musique.

Guinéenews : nous vous accrochons aujourd’hui, c’est surtout pour parler de votre état de santé devenu plus ou moins chancelante. Puisque vous êtes malvoyant. Pouvez-vous nous rendre public votre bilan de santé ?

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : oui, j’ai commis une erreur qui m’a coûté très cher et dont je regrette. Je voyais très bien avant cette intervention au niveau de mes yeux. Je parvenais à consulter mon téléphone, j’effectuais mes appels et lisais tous les messages que je recevais. Arrivé à Kankan, j’ai commencé à constater cette déficience visuelle surtout la nuit et pendant la conduite. La journée, il m’arrivait difficilement de reconnaitre les personnes que je croisais. Au-delà d’un mètre, je ne pouvais plus reconnaitre la personne d’en face. Inquiet, j’ai été mis en confiance par plusieurs personnes qui m’ont vanté la compétence de cet ophtalmologue qui a procédé à Kankan à cette opération de mes yeux. J’avoue que cela s’est passé, il y a de cela trois mois. Depuis, je ne peux voir même une fumée en face de moi. Ce, malgré l’assurance qu’on continue de me donner quant à un lendemain meilleur.

Guinéenews : à ce stade d’évolution de votre handicap qui semble, d’après vous, se compliquer, qu’envisagez-vous pour résoudre ce problème primordial de vue ?

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : c’est une question de moyens, de spécialistes pour résoudre ce problème avant qu’il ne soit trop tard. Sans aucun complexe, il faut que je sois assisté afin de bénéficier d’une évacuation sanitaire dans des centres spécialisés à cet effet. J’en appelle à l’aide de tous pour recouvrer ma vue. Je ne doute pas de la compétence de celui qui a opéré mes yeux. Il est évident aussi qu’on ne doit pas blaguer avec les yeux. C’est une partie de la vie qui sert la plus grande partie de la vie.

Permettez-moi de remercier tous ceux qui m’ont assisté pendant cette dure épreuve. Ils sont nombreux et la liste est longue. Qu’ils puissent tous se reconnaitre ici, à travers cette interview.

Guinéenews : faites-vous partie de la liste des artistes qui ont bénéficié récemment des 5 millions du gouvernement guinéen.

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : oui, je suis un ancien musicien qui a bénéficié de cet octroi et qui continue toujours à servir malgré cet état de malvoyance qui n’empêche pas de caresser la batterie pour le plaisir des mélomanes.

Guineenews : à part ces 5.000.000 FG mensuel que vous percevez, aviez-vous autres sources de revenus sachant que vous n’êtes pas fonctionnaire de l’Etat ?

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : comme vous le dites, à part ces 5.000.000 FG, je bénéficie le plus souvent du fruit de mes prestations lors des soirées en compagnie d’African groove de Maitre Barry et du 22 band de Kankan. Je percevais aussi des honoraires par trimestre à l’Institut Supérieur des Arts Mory Kanté de Dubréka. Vu mon état de malvoyant, je suis obligé et à cause des difficultés de supprimer pour l’instant cette autre source de revenus.

Guinéenews : vous faites partie aujourd’hui de la grande classe de batteurs de nos ensembles nationaux, relatez-nous un bon ou mauvais moment qui retient jusque-là votre attention dans votre parcours de musicien ?

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : le plus beau souvenir qui retient encore mon attention, est ma prestation à la Paillote lors d’une soirée où le Horoya band national avait animé en compagnie de l’orchestre Aragon de Cuba.

Aragon a engagé ce jour un titre dont je maitrise parfaitement les solos aux timbales. Aux premières notes, j’ai tiré mon instrument pour être à côté du cubain qui jouait aux timbales. Dans ce titre, il est prévu des solos de timbales. J’avoue que j’ai surpris tout ce monde présent en faisant le duo en solo avec le musicien cubain. Le monde avait arrêté de danser pour venir assister à notre spectacle de solos aux timbales. C’est un jour inoubliable pour moi car, j’ai honoré mon orchestre et pour tout dire mon pays.

Mon plus mauvais souvenir est le jour où j’ai appris le décès de mon idole Djély Fodé Diabaté, chanteur compositeur du Horoya Band national. Ce jour j’étais affligé et je n’ai pas accepté d’observer corps inerte car, j’ai préféré gardé ses images à son vivant.

Imaginez-vous, lors de tous nos voyages, j’ai toujours partagé la chambre avec lui malgré la différence d’âge, il m’a toujours appelé ‘’N’dougnokè’’ (mon ami d’enfance, littéralement traduit en français). Nous étions toujours ensemble et c’est sa nomination comme Directeur de l’ensemble instrumental, qui nous a un peu séparés.

Guinéenews : plus de 54 ans de carrière musicale, vous aviez certainement un cri du cœur ? Si oui, c’est lequel ?

Ansoumane Kaloga ‘’Belmondo’’ : vous avez bien fait de me poser cette question. Vous savez, il y a une différence entre les responsables et j’en viens.

La façon dont ils nous ont exproprié notre siège de la minière restera comme une déchirure morale éternelle pour nous, membres de l’orchestre national de Horoya Band.

Je vais vous dire une réalité aujourd’hui, c’est ce chagrin qui a écourté les vies de Lancinet Kanté (chanteur) et Lansana Condé (guitariste soliste).

Et qui nous a retiré ce domaine ? C’est la deuxième personnalité du pays d’alors en l’occurrence monsieur Sidya Touré. Ce domaine nous a été octroyé par décret présidentiel et mis dans le portefeuille du ministère de la Culture et de la Jeunesse à l’époque. C’est ainsi que le ministère a fait des arrêtés en affectant un domaine à chaque ensemble orchestral national. J’ai tous les documents officiels concernant ce domaine de la Minière.

Quand M. Sidya Touré sollicitait avoir la minière, il avait fait une correspondance adressée au ministre de tutelle d’alors qui était Michel Kamano. Ce dernier lui a fait un mémorandum, si toutefois la prise de la Minière est incontournable. Des conditions étaient bien indiquées dans ce mémorandum. Je détiens tous ces dossiers. Certainement, c’est cette résistance du Michel Kamano qui lui a valu sa destitution. Feu Mongo Diallo par la suite a été nommé à ce poste. C’est au temps de feu Mongo que la lettre a été faite et la vente du domaine a eu lieu. 

C’est dommage, nous avions tapé à toutes les portes afin de nous restituer notre domaine, rien n’en est et tout le monde connait la réalité et personne n’y fait cas. C’est mon cri du cœur permanent. Le Horoya Band peut renaitre de ses cendres et malheureusement, il n’y a aucun moyen créé pour favoriser cette reprise, à cet effet. Nous sommes donc à l’orphelinat pour le moment.

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews

Quitter la version mobile