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Bakary Fofana sur les PMA : « le plus important n’est pas l’amélioration des indicateurs macroéconomiques…»

Après des parenthèses à la tête du ministère des Affaires étrangères et à la tête de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), Elhadj Bakary Fofana a retrouvé son milieu de prédilection ; celui de la société civile.  En témoigne sa participation remarquable à la 5ème Conférence des Nations unies sur les Pays les Moins Avancés (PMA) à Doha, au Qatar. Cela, en tant que personne ressource de l’Observatoire PMA, plus connu sous l’appellation anglaise LDC Watch. Très occupé à Doha où il était entre panels, rencontres interpersonnelles, orientation de jeunes acteurs de la société civile… C’est finalement à Conakry qu’il acceptera de répondre à nos questions. Dans cette interview, on décortique les PMA et le Programme d’Action de Doha et nous parlons du cas spécifique de la Guinée. Interview !

Guinéenews : Quel a été l’apport de la société civile mondiale a l’adoption du Programme de Doha pour les Pays les Moins Avancés ?

Bakary Fofana : Avant de répondre à la question il faut savoir à quelle réalité politique on fait référence quand on parle de Programme de Doha. Pour paraphraser un célèbre dicton, la manière de comment une société s’occupe de ses pauvres déterminera l’avenir de cette société : Le programme concerne les pays considérés comme les plus pauvres du monde ; qu’on a appelé autrefois Sous-Développés. Cette expression au-delà de son caractère négatif ne reflétait pas les efforts déployés pour améliorer les conditions de vie des populations. Aucune société n’est statique dans l’absolue d’où le terme les Moins Avancés .

C’est en 1971 que sur la base d’un certain nombre de critères socio-économiques que les Nations Unies adoptèrent la création de ce groupe au lendemain des indépendances en Afrique Asie Pacifiques etc. A l’origine il y en avait 24, aujourd’hui nous sommes a 46 pays dont 33 pays africains comme la Guinée, la RDC etc. Depuis cette date, un programme décennal est mis en place par la communauté internationale pour favoriser la mobilisation des ressources et des énergies pour accompagner les efforts nationaux des différents pays. Doha est ainsi le cinquième, après celui d’Istanbul (quatrième) en 2011.

La mobilisation de la société civile est une constance autour des PMA depuis les préparatifs des Conférences, en passant par l’amélioration du contenu des programmes ou du suivi de la mise en œuvre des accords, et plus particulièrement depuis la troisième Conférence. C’est à Conakry en 2008 qu’a été organisée par le CECIDE (OSC, l’ONG Centre du Commerce International Pour le Développement) une conférence préparatoire des OSC africaines et certaines d’Asie pour la Conférence Istanbul de 2011. Pour Doha, Covid oblige, des dynamiques sectorielles santé, éducation, environnement, financement du développement ont été menées par des réseaux, ainsi que par des ONG du Nord, un peu partout dans les pays concernés.

 En 2020 comme au second semestre de 2022, des séries de consultations virtuelles ont été organisées par région pour harmoniser les visions et propositions de la société civile en Afrique de l’Ouest, du Centre, de l’Est etc.  Le même processus a été mis en œuvre en Asie par LDC Watch. Ensuite des synthèses ont été faites pour déboucher sur un document de Consensus et de stratégie. A travers LDC Watch, TWN (Third World Network) et Social Watch, la coopération avec le Bureau de la Haute Représentante des Nation Unies pour les PMA à New York, la coopération a été excellente tout au long des préparatifs de la conférence.

Guinéenews : Vous faites bien de rappeler la Conférence d’Istanbul, ainsi que les conférences précédentes. Dites-nous quel  est  le bilan en termes de mise en œuvre des programmes précédents 

Bakary Fofana : La catégorie de PMA était censée permettre à ses membres de bénéficier de privilèges en termes de commerce, d’aide et de financements divers. Mais les 24 pays ainsi désignés en 1971 ont depuis doublé en nombre. Ils sont aujourd’hui les premières victimes du réchauffement climatique, sont accablés par l’inflation des produits alimentaires et énergétiques consécutive à la guerre en Ukraine et croulent sous des dettes dont ils peinent à payer ne serait-ce que les intérêts. Le bilan des programmes précédents pour le moment n’est pas à la hauteur des attentes. Avec 24% des droits de vote à l’ONU, ces 46 Etats ne représentent que 3.5 % de droit vote au FMI. Malgré les multiples réformes économiques engagées par les gouvernements de ces pays sous la pression des Institutions de financements, leur part dans le PIB mondial ne fait que 2 %. Sur le plan commercial, entre 2020 et 2O21, la part dans les exportations mondiales s’est située autour de 0,93 %  et en importation 1,39 %. Les règles commerciales multilatérales leur prévoyaient certaines exemptions, mais les conditions de leur intégration dans les marchés internationaux sont restées inéquitables.

 Guinéenews : Pourquoi le programme est adossé à l’objectif d’atteinte en 2030 des ODD  ?

Bakary Fofana : C’est en 2015 que l’ONU, après avoir fait un bilan du programme passé, et particulièrement son financement, a décidé de relancer ces ODD pour l’échéance 2030. Les PMA sont des pays où les inégalités d’accès à des services sociaux et publics sont dans des proportions fortes. D’où le principe d’adosser le Programme aux ODD.

Pour mobiliser des ressources et les volontés politiques qui outrepassent les égoïsmes des pays, les Nations unies ont adoptées cette approche de détermination des 17 objectifs à atteindre dont :  Zéro faim, Bonne santé et bien-être ; Education de qualité ; Egalité entre sexe ; Accès à l’eau propre ; Travail décent ; Villes propre et viable.  Ces éléments constituent en soi le minimum que tout gouvernement, du Nord comme du Sud, devrait avoir comme raison d’être.

 Guinéenews : Vous particulièrement, qu’avez-vous fait au compte de la SC guinéenne ?

Bakary Fofana : Ma participation à cette conférence n’était pas de représenter la société civile guinéenne ; les invitations n’ont pas été faites en ces termes. Comme vous pouvez le savoir, la société civile est multiple avec des objectifs très variés : santé, environnement, éducations, femmes, paix et conflits, politiques  économiques au travers d’organisations de nature différentes comme ONG ,syndicats organisations socioprofessionnelles etc. Depuis 2001, nous participons au suivi de cette dynamique et de ses enjeux pour le développement de nos pays. Et, en 2000, nous avons favorisé la création du Centre du Commerce International pour le  Développement (CECIDE), spécialisé sur les politiques économiques et les questions de développement. Le CECIDE est membre fondateur de LDC Watch qui regroupe institutionnellement les acteurs non étatiques des PMA. C’est-à-dire les  ONG ,université , think thank, fondations etc. Cette structure est un partenaire privilégié du Bureau du Haut représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour les PMA. Donc, au-delà du suivi comme personne ressource pour LCD Watch des travaux de la Conférence, j’ai participé à des discussions thématiques comme l’Accès des PMA aux marchés, ou les Conflits en Afrique. Je me réjouis d’avoir rencontré des jeunes de la société civile guinéenne a l’image d’autres pays  venus suivre cette Conférence dont les sujets et défis sont complexes et dont les enjeux impactent directement sur nos politiques de développement. J’adresse les mêmes félicitations à Guinéenews.org  pour avoir été capable de couvrir cette conférence…

 Guinéenews : A Doha, les chefs d’Etat et de gouvernements se sont engagés à mettre en œuvre ce Programme durant la prochaine décennie afin d’aider les PMA à sortir de la pauvreté. Croyez-vous à cette volonté exprimée ?

Le terme de pauvreté définit mal la situation. En effet, ce dernier ne pourra jamais être vaincu entièrement. En plus, on est toujours le pauvre de quelqu’un. C’est une question de perception. A cet égard d’ailleurs, il a été demandé aux organismes internationaux de revoir leur copie dans ce sens .Pour  Wavel Ramkalawan, Président des Seychelles, un des rares PMA à avoir réussi à quitter la catégorie, le moment est venu pour les 12 organisations internationales comme l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et les banques de développement multilatérales d’arrêter d’utiliser le PIB par habitant comme seule mesure du développement.

 Pour répondre à votre question, je suis ambivalent. D’une part, il faut espérer. Sinon,  il sert à quoi de se retrouver pour parler, dépenser des millions de dollars pour son organisation s’il n’y avait pas la volonté de faire quelque chose face à la situation de ces pays dans le cadre de la Coopération internationale. D’autre part, il faut être réaliste. Les débats ont mis en évidence ici le fondement même des freins au processus de développement de ces pays que toutes les délégations ont dénoncées. Inadapté aux pays pauvres, outil d’une domination du Nord sur le Sud, le système financier international et l’aide multilatérale, hérités de l’après-guerre, ont été frontalement remis en cause au cours de cette Conférence de Doha. Le Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Gutierrez dans son allocution d’ouverture n’a pas manqué de mettre l’accent là-dessus en des termes qu’un acteur de la société civile ne peut pas renier, en disant que « le système financier mondial profondément biaisé – conçu par les pays riches pour bénéficier aux pays riches – propose aux PMA les traitements les plus injustes. Le Président du Timor Oriental a pour sa part accusé le Nord d’imputer au Sud la faillite de ses choix. ‘’ Nos partenaires ont tendance à rendre le récipiendaire responsable des échecs, plutôt que d’examiner ses propres programmes d’aide ’’, a déclaré José Ramos-Horta.

On a tendance à oublier qu’il y a déjà eu un Programme de Doha. C’est celui adopté en 1999 et qui a été pompeusement appelé dans le cadre de lOMC Programme de  Doha pour le développement, mais qui en réalité était un vaste programme de négociation et d’implémentation de la libéralisation des marché et des frontières, le tout sur fond de compétition entre nations, mais qu’on appellera pompeusement mondialisation. Il est aujourd’hui dans l’impasse à Genève.

Même si dans les relations internationales certaines actions sous entendent la morale ou le spiritualisme, aider les pauvres comme le recommande toutes les religions, l’adoption de ce programme et les engagements à venir de la part des participants ne sont pas des actes de bienfaisance entre Nations. La réalisation des objectifs est un élément essentiel de croissance économique et de stabilité socio-politique globale par la réduction des inégalités dans les pays concernés qui représentent plus d’un milliard d’habitants et du quart des membres de l’ONU avec un potentiel avéré. Les volontés se sont exprimées pour saluer le programme, reste à savoir ce qui peut être financer, réaliser, et quand ?

Guinéenews : Pour la réalisation des objectifs du Programme de Doha, les PMA auront besoin d’importants financements : Le SG des NU a appelé à la mobilisation d’au moins 5OO milliards de dollars par an. Pensez-vous que ce montant est mobilisable par an ?

 Ce sera difficile. Il faut être réaliste. En 2019 l’ONU a estimé le déficit du financement de développement a presque 4 500 milliards de dollars. Pendant la période où le capital financier ouvrait les frontières sous couvert de libéralisme économique, les précédents programmes des PMA n’ont jamais pu être financés entièrement. La masse de liquidités qui en a résulté s’est retrouvée beaucoup plus sur les marchés financiers ou les rendements étaient élevés, que dans des investissements productifs. La preuve on court toujours, vingt ans après, pour l’atteinte des ODD.

Les perspectives en 2023 ne sont pas roses. Depuis cinq ans le monde traverse des crises multiples dont les plus emblématiques sont le Covid, la crise énergétique et céréalière dépendant du conflit russo-ukrainien etc. Les dettes publiques explosent un peu partout chez les donateurs. Les dix prochaines années seront difficiles en termes d’accès à des financements publics. La logique de la protection de l’intérêt national a été plus que révélée lors de l’épisode du Covid.

Guinéenews : Le Président du Malawi qui préside le Groupe des PMA a vu le résultat de cette conférence comme un succès époustouflant sur le fond et la forme. Etes-vous d’avis avec lui ?

Bakary Fofana : Réunir plus de neuf mille participants dont 46 chefs d’Etat et de gouvernement ; 200 ministres et vice ministres, de parlementaires et OSC en cette période d’incertitudes politiques et financières en adoptant de surcroît un programme est en soi une réussite. Dans le domaine politique des vérités ont été dites, les causes et des responsabilités dans les politiques de développement ont été situées. Les orientations contenues dans le programme sont novatrices par endroits et intéressantes, mais d’autres sont restées insuffisantes.

Les Représentants des PMA ont fait des propositions concrètes. Ex. afin de soutenir la mobilisation fiscale et de lutter contre la fuite des capitaux,  les PMA d’Afrique ont proposés la création d’une convention fiscale des Nations unies. Cette convention devrait créer un espace où tous les pays auraient un siège à la table des négociations. L’objectif ultime étant de créer des règles fiscales équitables et de garantir la transparence fiscale pour tous les pays. La Guinée a fait la proposition de mise sur pied d’un Institut International de la Coopération SUD /Sud qui a été adoptée par le Forum de la société civile PMA etc.

Mais, d’après les conditionnalités idéologique et économico-politiques du financement du développement et de l’aide publique depuis trente ans, implémentation des réformes libérales oblige, on peut dire qu’on s’achemine pour les années prochaines vers des conditions de financements politico économiques plus marquées.

Pendant ces cinquante dernières années, le financement du développement des différents pays et particulièrement ceux des PMA était marqué par une certaine verticalité du Nord vers le Sud. Depuis un moment c’est une diversification de sources de manière parallèle qui vient dans certains domaines prendre le relais du mécanisme existant. L’endettement restera toujours un goulot de réduction des capacités d’investissement pour plusieurs PMA.

Guinéenews : Quel devrait être le rôle de la société civile dans la mise en œuvre de ce programme ?

 Bakary Fofana : S.E. Rabab Fatima, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Haut Représentante pour les PMA, les Institutions onusiennes, Mme Nancy Tembo, Ministre des affaires étrangères du Malawi et membre du Parlement; S.E. Amrit Bahadur Rai, Représentant permanent du Népal auprès des Nations Unies, la Ministre Guinéenne de la Coopération internationale et d’autres etc par leur participation au Forum de la Société civile, ont montré l’importance de cet acteur (la société civile) dans la mise en œuvre du Programme de Doha.

C’est dans cette veine qu’il a été organisé une rencontre au sein du Forum de la société civile entre ses membres et les Représentants Pays du Système des Nations Unies dans les PMA. Objectif : renforcer le partenariat entre les deux acteurs (Système des Nations unies et société civile) pour le suivi et la mise en œuvre du Programme de Doha. Même si elle part d’ici déçu du manque d’engagement ferme de la part des donateurs pour la réalisation des ODD au terme de la période, la société civile reste pragmatique et engagée a plus de mobilisation pour la réalisation des objectifs de Doha.

Guinéenews : au vu du stade ou nous nous trouvons en 2023, pensez-vous que la Guinée puisse sortir des PMA à l’horizon 2033 ?

Est-ce que la Guinée peut sortir des PMA à l’horizon indiqué ? Il faut comprendre une chose : ce n’est pas la Guinée qui a demandé à être PMA. Ce sont les critères adoptés ailleurs qui ont donné cette classification socio-économique et politique. Par contre il faut espérer que l’agriculteur s’engagera encore plus dans la production; que le menuisier ou l’enseignant, le commerçant, le médecin, le journaliste etc. s’engageront davantage dans la création de richesses pour avoir plus d’écoles et d’hôpitaux de qualité, d’un meilleur environnement, d’une meilleure qualité de vie, que l’accès à l’eau potable soit généralisé… Pour y arriver, on ne peut tout attendre de l’Etat. Sinon, cela ne sert à rien d’être citoyen dans un État.

La Guinée a le potentiel pour cela. Je ne parle pas du serpent de mer Ressource naturelle. Tant qu’on n’aura pas la capacité financière, technologique, humaine et commerciale endogène, les ressources naturelles ne feront pas de nous des riches. On est riche de la gourmandise des citoyens du Nord à consommer plus de produits en aluminium ou en métal etc. Plus ils en voudront, plus on dira que la bauxite est une richesse. Dans le cas contraire, elle restera une terre en réserve.

Par contre, nous disposons de terres fertiles, une pluviométrie intéressante même si elle est  menacée par le changement climatique, un secteur des services qui se développe, des ressources humaines diversifiées et de plus en plus qualifiées, une jeunesse qui prend confiance en ses possibilités et qui acquiert plus l’esprit d’entreprise. Les trois départements de l’éducation dont la formation professionnelle font bouger les choses dans ce sens. Un fait nouveau dans le paysage économique guinéen est l’émergence de plus en plus affirmée d’un secteur privé de transformation qui mériterait d’être accompagné et mieux outillé. Les produits de l’artisanat s’améliorent de plus en plus. Il ne reste plus qu’à optimiser les dotations en ressource des facteurs de production dans des secteurs où le potentiel national est en mesure de se développer. Ainsi, au lieu du ruissellement économique libéral et vertical, qui a été attendu en vain, que nous puissions plutôt essayer l’horizontal. Le plus important n’est pas l’amélioration des indicateurs macroéconomiques, mais celui des conditions de vie du plus grand nombre de citoyens. Les ODD constituent un rappel d’objectif de gouvernance à moyen terme, mais aussi une engagement vers la transformation du potentiel en prospérité comme le slogan de la Conférence l’a envisagé.

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