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Autosuffisance alimentaire : Quand l’Alphagouvernance berne les Guinéens ! (enquête)

A son accession à la magistrature suprême le 21 décembre 2010, Alpha Grimpeur avait inscrit l’autosuffisance alimentaire dans l’agenda de ses priorités. Il en avait fait une obsession. Le Prési de la République comptait booster l’agriculture pour permettre au populo de consommer 100% le Made in Guinée. Lui et son goubernement prévoyaient notamment relancer la culture du riz, un des aliments les plus prisés par les Guinéens. Un secteur, qui en réalité, n’a jamais connu de boom en 62 ans d’indépendance-dépendance, il reste toujours dans son sommeil. Le chef de l’État avait pourtant juré sur tous les toits que peu de temps lui suffiraient pour mettre faim à l’importation du riz en Guinée. Dix ans après, force est de constater que la promesse présidentielle est loin d’être tenue. Officiellement, on affirme compter sur le riz local pour satisfaire les besoins alimentaires du populo. Mais, les autorités guinéennes donnent une place de choix au riz importé. Cette enquête qui fait partie de la série d’articles que Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée, réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa) avait permis de montrer l’étendue de la contraste entre ce qu’annonçait l’Alphagouvernance et la réalité. Deux ans plus tard, une actualisation montre que les choses n’ont pas changé. Au contraire, elles semblent continuer de la plus des manières.   

Le riz importé, toujours la priorité

Les autorités ont beau fait croire aux Guinéens que l’autosuffisance alimentaire est une priorité, il ne reste pas moins que l’importation des denrées alimentaires, notamment le riz, a continué à engendrer plus de dépenses que celles injectées dans la culture du riz local. Les dépenses faramineuses ont continué en 2019, 2020 et 2021. La montée en flèche de l’importation s’illustre à travers quatre variétés de riz prisées par le populo : le riz Paddy, pour 2019, 1 229,927 tonnes ont été importées pour une valeur de 5 267 598 403 francs guinéens. Ce qui, à ce jour, fait environ 592 880 dollars américains. 1 250, 168 tonnes achetées en 2020 pour 6 701 251 430 francs guinéens soit 754 240 dollars. 113, 796 tonnes pour l’année 2021 pour une valeur 467 629 606 gnf( 52 633 dollars). Pendant ces trois années, au moins 2 593, 891 tonnes de riz Paddy sont entrées en Guinée pour environ 1 399 753 dollars américains. Pour le riz décortiqué (cargo ou brun), ce sont 173 670, 239 tonnes qui ont été importées en 2019 pour une somme de 160 525 586 924 gnf (18 097 585 dollars). 78 524, 487 tonnes pour 2020 pour une valeur de 74 226 724 583 gnf (8 368 289 américains). Pour 2021, ce sont 144,520 tonnes qui sont entrées sur le territoire guinéen pour 592 130 081 gnf (66 756 dollars). 396 339,272 tonnes de cette variété qui ont donc été déversées sur les marchés guinéens pour la somme de 26 532 630 dollars américains en trois ans.

Pour ce qui est du riz semi-blanchi ou blanchi, poli ou glacé, 128 337, 804 tonnes ont été achetés à 343 208 170 487 gnf (38 693 141 dollars) en 2019, 174 763, 782 tonnes pour 565 264 724 518 gnf en 2020 (63 727 702 dollars). En 2021, 293 217 641 329 GNF, soit 33 057 231 dollars américains ont été utilisés pour acheter 93 237, 686 tonnes. Entre 2019 et 2021, 396 339,368 tonnes de riz sont entrées en Guinée pour 135 478 074 dollars.

En ce qui concerne le riz en brisures, 244 615, 168 tonnes ont été achetées à hauteur de 476 918 776 000 gnf en 2019 (53 767 618 dollars). 464 721, 829 tonnes importées en 2020 pour 677 425 428 919 gnf (76 372 652 dollars). 766 076, 191 tonnes importés pour 902 698 882 419 gnf (101 769 884 dollars) pour 2021. En trois ans, ce sont 1 475 413 tonnes qui ont coûté 231 910 154 dollars.

La production locale elle, a continué à connaitre son abandon habituel. Pas de politiques agricoles viables, les directions nationales et autres organismes pullulent toujours au sein du département de l’Agriculture, mais la situation ne change pas. Ces trois dernières années, les campagnes agricoles ont plus viré en campagnes électorales. Les intrants presqu’inexistants ou mal distribués, l’Alphagouvernance n’en a, en réalité, pas fait une priorité. Ces dernières années, les esprits étaient même plus occupés à comment offrir un 3e mandat au Grimpeur que de collecter des données sur cette production. Dans le Badiar, zone de production agricole par excellence ou encore en Haute-Guinée, les producteurs sont toujours confrontés à la même réalité. Les terres sont en très grande partie non aménagées, les intrants agricoles venant de l’Etat ou de ses partenaires se font rare, bref le manque d’accompagnement de l’Etat n’est qu’un secret de polichinelle. Les producteurs se tournent donc vers des privés pour les intrants. Ces derniers font souvent leurs lois selon la tête du client.

Solution miracle ou propagande transitionnelle ?

Le Comité national du rassemblement pour le développement, au pouvoir depuis septembre 2021, n’a pas encore participé à une campagne agricole, mais fait déjà croire au populo que la culture du riz est son affaire. Le colonel Doum-bouillant, à l’occasion d’un Conseil ordinaire des ministres, a ordonné à ses ministres de cultiver chacun, à partir de la prochaine campagne agricole, un minimum de 50 hectares de riz. Un début certes, mais à voir de plus près, l’on se rend compte que la mesure frise le populisme. Outre peut-être la volonté politique, il est évident qu’elle mesure ne changera pas grand-chose.

Le goubernement Mohamed Béat est composé de 25 ministres et de deux secrétaires généraux. Donc 50 hectares multipliés par 27. En Guinée, dans les zones agricoles par excellence, un champ d’un hectare donne en moyenne une tonne de riz. En partant du principe que chaque ministre obtienne 50 tonnes de riz non décortiqué, cela donnerait au total 1350 tonnes de riz non décortiqué. Alors que selon les statistiques du ministère du Commerce, de l’Industrie et des Petites et Moyennes entreprises, la Guinée importerait chaque année entre 600 000 et 700 000 tonnes de riz pour le besoin de consommation de la population. Cela montre à quel point le CNRD a encore du chemin à parcourir.

Les chiffres d’avant 2019

Pendant que l’Etat fait croire que tout est mis en place pour faciliter les choses aux agriculteurs, que l’autosuffisance alimentaire est une réalité, c’est plutôt l’importation du riz qui semble avoir pignon sur rue en Guinée. Depuis 2010, l’importation de cette denrée monte crescendo. Avec en l’air, de petits millions de dollars américains qui auraient pu servir ne serait-ce qu’à l’aménagement des différentes plaines agricoles. En 2013, officiellement, 458 035 tonnes de riz ont été importées pour une valeur de 239,77 millions de dollars ricains contre 620 057 tonnes pour 284,63 millions de dollars l’année suivante. Quelque 545 088 tonnes de riz ont été importées en 2015 pour 250,97 millions de dollars. En 2016, 643 088 ont été importées pour 252,84 millions de dollars contre 662 030 tonnes à 202,32 millions de dollars en 2017 et 681 080 tonnes en 2018 à 220,28 millions de dollars. Soit 3 607,319 tonnes importées de 2013 à 2018, pour un coût total de 1 milliard 450 millions 81 mille dollars ricains.

Au PAC (Port auto-norme de Cona-cris), d’autres chiffres sont plutôt évoqués pour quasiment la même période : 406,002 tonnes en 2012 ; 496,001 tonnes en 2013; 648,007 tonnes en 2014 ; 515,001 tonnes en 2015 ; 554,009 en 2016 ; 690,006 en 2017 et 791,006 en 2018. Le coût de ces importations n’a pas été fourni par les responsables du PAC.

Ces milliards de dollars dépensés dans l’importation du Riz ne viennent pas forcément des caisses de l’Etat, qui subventionne la plupart des produits de première nécessité qui entrent en Guinée. Officiellement, l’Etat justifie la subvention par la nécessité de diminuer le coût pour le consommateur. Mais des opérateurs comiques assurent que tout ou presque demeure flou : « C’est vrai que l’Etat subventionne le riz importé, mais c’est une très grosse mafia entre les importateurs et le ministère du commerce. Pourtant, nous avons plusieurs importateurs de riz dans notre organisation, mais ils ne te diront jamais ce qui s’y passe, ils sont hostiles aux chiffres », nous clame un opérateur comique. Même son de cloche à la Chambre régionale du commerce de Cona-cris : « On ne nous dit absolument rien de l’importation ou de la subvention. Ils font ce qu’ils veulent, ils ne nous associent à rien. Dites cela à qui vous voulez, c’est le ministère du Commerce, son entourage et leurs amis qui savent comment ils font », a expliqué un haut perché de ladite Chambre.

Les chiffres du goubernement et la réalité du terrain s’opposent

Depuis 2011, la filière riz connaît quelques progrès. Des chiffres fournis par le goubernement, qui résulteraient des différentes campagnes agricoles, montent au fil des années. En 2013, dans les sept régions administratives du bled, 1 913 338 tonnes de riz non décortiqué auraient été cultivées sur une superficie de 1 670 872 hectares contre 1 970 515 tonnes en 2014 sur 1690 869 ha. En 2015, 2 047 365 de tonnes sur 1 706 138 ha. Sur une superficie de 1 738 994, 2 173 742 de tonnes de riz ont été obtenues en 2016 ; 2 197 907 en 2017 sur 1 805 878 ha et 2 339 747 tonnes de riz en 2018 ont été cultivées sur 1 859 767 ha. A la Direction nationale de l’agriculture, les dernières statistiques remontent à 2002. Celles «récentes» ne reflètent pas non plus la réalité sur le terrain. Voyons voir ! En 2014, la Guinée comptait 1 470 388 ménages. Ces tonnages de riz susmentionnés auraient donc suffit à couvrir les besoins de la denrée pour la majorité de ces ménages. Ces millions de tonnes évoqués par le goubernement ne se vérifient pas forcément sur le terrain. Le riz local coûte beaucoup plus cher : 7 000 francs glissants le kilogramme, 350 000 gnf le sac de 50 kilogrammes. Au même moment, l’Etat concentre plus «ses efforts » sur la subvention que sur l’aide aux agriculteurs locaux. Conséquences, le consommateur se tourne donc vers le riz importé dont le prix du sac de 50 kilogrammes varie entre 265 000 et 305 000 francs glissants, selon les qualités. Un cadre (en bois) du mystère de l’agriculture accuse sur le bout des lèvres les ménagères de bouder délibérément le riz local : «Le riz importé a une qualité : les femmes qui préparent ne veulent fournir assez d’efforts. Quand le riz est très bien transformé, il contient moins de débris, la ménagère va acheter le riz qu’elle met directement dans la marmite, elle n’a pas besoin d’un travail complémentaire». Pour lui donc, la préférence des nounous du riz importé au détriment du riz local serait liée à la corvée (cuir, assécher, piler) qu’elles vivent avec ce dernier.

Cet argument n’est pas partagé par tout le monde, même au sein du département de l’Agriculture. Il y en a qui expliquent que le riz importé bénéficierait des appuis que l’Etat n’a pas voulus offrir aux producteurs locaux: «La riziculture moderne se fait sous aménagement, les aménagements coûtent cher, et l’argent est devenu rare sur le marché international. Donc pour l’instant, nous n’avons pas d’argent pour réaliser ces infrastructures. Le bât blesse aussi au niveau du matériel de la transformation du riz local dans notre pays». Mohamed Lamine Touré, dirlo national de l’Agriculture se défend : «Aujourd’hui, tout est renforcé. Les prestations sont subventionnées, les tracteurs sont à la portée des producteurs, l’accès est facile, avec une forte subvention».

Les choses ont quelque peu changé au niveau de l’approvisionnement en engrais. Jusqu’en 2008, l’Etat ne mettait que 2 000 tonnes à la disposition des agriculteurs, tout confondu. En 2011, elle a haussé jusqu’à 20 000 tonnes. De 2011 à 2017, cette fourniture est passée de 20 000 à 40 309 tonnes d’engrais. Malgré tout, elle reste faible face aux besoins.

                                                                                                                                                                 Yacine Diallo pour Le Lynx

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