A quelques jours de la fête de Tabaski 2019, le débat sur le tissu traditionnel en général et le Léppi en particulier fait rage dans la région administrative de Labé. En plus de la hausse subite enregistrée le mois passé, ce tissu très prisé en ce moment se fait de plus en plus rare dans les marchés. Pour comprendre davantage les dessous de cette situation, la rédaction régionale de Guineenews© a fait un tour dans le plus grand centre de tissage de la cité de Karamoko Alpha. Mamadou Pété Diallo, maitre tisserand formateur au centre d’appui à l’auto-formation féminine (CAAF) de Labé s’est ouvert à nos questions. Lisez !
Guineenews© : Bonjour maitre, présentez-nous votre centre de tissage
Mamadou Pété Diallo, tisserand : On est actuellement au nombre de 5 personnes pour un total de 6 machines. Mais la sixième machine n’est pas disponible pour le moment. Sinon les 5 travailleurs là sont disponibles et ils travaillent tous les jours. Chacun d’eux peut produire un complet par jour. Donc, on fait 5 complets par jour parce que ce n’est pas tous qui arrivent à faire deux à trois pagnes par jour. C’est seulement les meilleurs qui peuvent produire 3 pagnes par jour car c’est un travail mesquin qui nécessite toute votre attention.
Guineenews© : Vous êtes en location ou vous êtes gratuitement hébergé par l’Etat ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Comme vous le savez, ce local appartient à l’État. J’y travaille depuis 1982. C’est un centre qui est fait pour l’apprentissage de petit métier. Donc, on ne paye pas. Mais, à part ça, notre organisation n’a aucun lien avec l’État. C’est seulement à la fédération préfectorale des artisans de Labé que nous sommes liés. L’État ne nous a rien apporté d’abord à part ce local. Donc, on produit pour vendre nous-mêmes.
Mamadou Pété Diallo, tisserand : L’avantage est que les membres de la fédération peuvent emprunter de l’argent auprès de l’organisation qui dispose d’une épargne pour soulager les ouvriers. Donc, quand tu es dépanné, tu reviens rembourser. Cela nous aide beaucoup dans notre fonctionnement. En plus, s’il y a des rencontres d’exposition, la fédération nous inscrit et on profite pour avoir plus de visibilité.
Guineenews© : Qu’est-ce que vous utilisez pour le tissage et où gagnez-vous la matière première ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : C’est d’abord le fil. Comme il n’y a pas d’usine de production de fil chez nous en Guinée, nous commandons à partir du Burkina, du Sénégal, du Mali Bamako et parfois en Côte d’Ivoire (qui ne produit plus). C’est du fil importé de ces pays qu’on utilise ici. Les commerçants importent et nous, on achète avec eux. Mais parfois, c’est très compliqué parce que souvent il y a rupture de stock. En ce moment, on est obligés d’attendre car sans fil, on ne peut rien faire.
Guineenews© : A combien achetez-vous ce fil sur le marché ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Non, c’est trop cher en ce moment. Mais comme on est tenu obligés. On ferme les yeux et on achète ; car notre survie y dépend. Ils nous vendent le paquet de fil noir à 70 000 GNF, le blanc à 65 000 GNF et les autres couleurs à 55 000 GNF alors que cela s’achète moins. C’était entre 35 et 45 000 GNF le paquet.
Guineenews© : Combien coûte un complet de Leppi à ce jour ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : chez moi ici, un seul mètre de grand complet est vendu à 60 000 GNF, le petit à 12 000 GNF le mètre et le complet à 300 000 GNF, 250 000 GNF et 400 000 GNF. Ça dépend de la qualité du travail. La différence est non seulement au niveau des fils mais aussi au niveau de l’ingéniosité du tisserand. Ce qui est fait à la hâte est différent de ce qui est fait soigneusement. Donc, nous, on prend tout notre temps pour avoir un meilleur produit.
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Chez moi ici, les prix que je viens de vous dire-là ne sont pas fixés à cause de la fête. Ce sont des prix standards. Rien a été diminué et rien a été augmenté. Ce sont les commerçants qui ont haussé le prix. Ce n’est pas nous les tisserands. Nous, on a conservé notre prix initial.
Guineenews© : Alors comment se fait-il que d’autres vendent le même Leppi à 200 000 GNF au marché et que vous vous avez des complet de 300 000 GNF ici ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Ce n’est pas la même chose malgré qu’il s’agisse là de complet de 3 pagnes mais c’est différent. Ce que je revends ici à 300 000 GNF c’est ce qu’on appelle le damier. Quand tu vois le tissu tu trouveras que c’est joli avec une qualité concurrentielle. Par contre, ce qui est vendu au marché à 200 ou 250 000 GNF est différent de ce que j’ai ici de par la taille, la qualité et même le poids. Les 3 pagnes que je propose ici peuvent habiller n’importe quelle personne quelle que soit sa taille.
Guineenews© : Quelles difficultés rencontrez-vous dans le tissage ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Actuellement on a des difficultés pour l’obtention du fil qui se fait de plus en plus rare. Pratiquement, c’est le fil destiné aux tailleurs qu’on utilise dans le tissage. Présentement, il n’y a pas de fil blanc, le noir aussi se fait très rare. En un mot, il y a une crise de fils sur le marché. Et cela est un grand problème pour nous artisans.
Guineenews© : Néanmoins, cette année vous vous êtes frotté les mains cette année avec le Leppi ?
Mamadou Pété Diallo, tisserand: C’est vrai que le Leppi a été acheté cette année. Mais, par ailleurs, il y a eu beaucoup de critiques. Les gens disent que le prix a été revu à la hausse alors qu’il faut d’abord voir la qualité du produit proposé parce qu’un seul bonnet (Poutho) est de nos jours vendu à 300 000 GNF. Il n’y a eu aucun problème de ce côté parce que c’est un bon travail qui est fait. Maintenant, si nous tisserands, on tisse des produits de qualité, les teinturières en font de même, quel que soit le prix, ça ne devait pas faire autant de bruit.
Guineenews© : Mais vous êtes d’accord avec moi que le prix a été multiplié voire tripler ces derniers temps?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Oui c’est vrai. Il y a eu une hausse inquiétante sur le marché. Maintenant, si l’État voulait nous aider, il allait contrôler la qualité des produits qui sont sur le marché afin qu’on ait de bon produit qui vont soulager les clients. Par ailleurs, si les teinturières achètent chez nous, les pagnes qu’elles transforment avant d’augmenter le prix, là, ce n’est pas de notre faute.
Guineenews© : Quel message avez-vous à lancer au peuple de Guinée?
Mamadou Pété Diallo, tisserand : Je demande à l’État et aux personnes de bonne volonté de nous aider à faire évoluer ce secteur qui est souvent abandonné. Comme il y a déjà un départ, qu’ils nous aident à maintenir le cap. Pas pour qu’on écoule beaucoup mais pour qu’on fasse un meilleur travail.
Alaidhy Sow pour Guineenews