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Yéro Baldé, candidat du FRONDEG: « Ce n’est pas un péché d’être riche »…

Ancien ministre, ex-vice-gouverneur de la Banque centrale, économiste passé par la Banque Mondiale et acteur clé de grands projets miniers, Abdoulaye Yéro Baldé (photo d’archives) est candidat à la magistrature suprême sous la bannière du Front Démocratique de Guinée (FRONDEG). Officiellement retenu parmi les prétendants par la Cour Suprême, M. Baldé se veut à la croisée des sphères publique et privée, incarnant une candidature qui se veut à la fois technique et politique, enracinée dans l’expérience mais portée par un élan de rupture. Il s’est prêté aux questions de Guineenews dans la rubrique “Parole de candidat”, pour y décliner son projet de société, marqué par sa vision et ses ambitions politiques pour la Guinée.

Guineenews: Monsieur Abdoulaye Yéro Baldé, bonsoir et merci d’avoir accepté de nous recevoir et de répondre à nos questions. Pour commencer, allez nous décliner les grandes lignes de votre projet de société.

Très bien, déjà je vous remercie pour l’opportunité que vous me donnez de m’exprimer à Guineenews que je connais depuis longtemps et qui fait du bon travail en ce qui concerne l’information du publique en Guinée, et même à l’étranger. Pour revenir à la question, vous savez, un programme de société, il faut le définir sur la base des attentes des populations. Nous n’avons pas voulu faire un programme générique. Nous sommes donc allés au contact des populations, pour savoir ce dont ces populations souffrent. Et quand vous faites le constat, c’est d’abord l’accès à l’éducation qui est devenu un luxe dans notre pays. Alors que tout le monde sait que sans éducation, il est difficile d’assurer un développement. S’il n’y a pas de formation professionnelle et technique, ou la recherche au niveau de l’enseignement  supérieur, il est très difficile de pouvoir bâtir une nation développée. Donc notre priorité c’est l’éducation, parce que qui parle d’emploi parle de formation. Nous voyons beaucoup de chantiers en Guinée, que ce soit ici (la capitale Conakry NDLR) ou l’intérieur du pays, la masse de main d’œuvre étrangère est très élevée.  Et l’explication est simple. L’une des raisons, c’est le manque de qualification de nos jeunes. Donc il faut mettre l’accent sur la formation professionnelle, la formation technique.

En plus, il faut faciliter l’accès à l’école. Aujourd’hui, il y a très peu d’écoles qui sont construites dans notre pays. Nous envisageons de construire au moins 50 000 salles de classe dès le départ pour faciliter l’accès à l’école. Et pour l’équité, nous comptons augmenter le nombre de cantines dans les écoles. Il y en a très peu, et qui ne fonctionnent pas très bien. Alors que si les enfants ont de quoi manger à l’école, ça facilite beaucoup la rétention de ces enfants à l’école.

Et puis, pour que l’éducation fonctionne bien, je l’ai toujours dit, il faut que la fonction enseignante soit valorisée. Il faut que les enseignants aient un statut qui fait d’eux des fonctionnaires enviables dans notre société, comme ça se fait ailleurs. Parce que vous ne pouvez pas aller enseigner alors que vous avez des soucis pour nourrir ou pour soigner votre enfant, ou même pour l’éduquer. Donc nous allons faire en sorte que l’enseignant soit traité comme il le faut, aussi bien en termes de salaire, mais aussi en termes d’avantages, comme l’accès au logement, l’accès aux soins et à beaucoup d’autres avantages de ce type.

Aussi, faut-il améliorer l’environnement pédagogique, les programmes. Nous ne voulons plus que nos enfants soient enseignés comme par le passé, où on leur apprend juste à apprendre par cœur. On veut que nos enfants apprennent à réfléchir. Parce que dans la vie de tous les jours, on réfléchit. Il faut considérer l’éducation comme un investissement. C’est d’ailleurs l’investissement le plus important.

Guineenews: On sait combien vous êtes porté sur les questions liées à l’enseignement. Nous allons y revenir si vous le souhaitez. Mais  en attendant, on va continuer à dérouler le programme.

L’un des piliers aussi, c’est la santé. Derrière une société saine ou une économie productive, il y a des travailleurs en bonne santé… Donc on envisage travailler sur l’accès à la santé qui reste très difficile pour la majorité des Guinéens.

Guineenews: Mais ça commence à s’améliorer avec la politique de prise en charge en cours, notamment pour les fonctionnaires et les retraités.

Oui, mais nous voulons étendre ça à l’ensemble des Guinées, parce qu’aujourd’hui, si vous avez un malade chez vous, dans votre famille, tout le monde vous appelle pour contribuer.

On appelle nos parents qui sont à l’étranger aussi, parce que ça coûte cher… Nous, on veut instituer l’assurance maladie pour chaque Guinéen. Quand vous allez à l’hôpital, avec votre carte d’assuré, qu’on vous soigne quelle que soit la situation. C’est possible de le faire parce que les ressources existent. Il faut aussi rapprocher les structures de soins aux populations. Donc les infrastructures, il faut les développer, les équiper, former plus de médecins soignants, d’infirmiers… C’est ce que nous avons entamé lorsque j’étais ministre de l’enseignement supérieur avec la transformation de la faculté de médecine en faculté des sciences et techniques de la santé où on forme des paramédicaux également. Parce qu’ à ce niveau également, comme dans l’enseignement, nous voulons valoriser le métier de médecin, de soignant, et tout le corps médical. Il faut  mettre le corps médical dans les meilleures conditions possibles pour fournir les meilleurs services à nos populations. Ça passe aussi par le salaire, les avantages en nature comme le logement, etc.

Ensuite, nous travaillerons sur les autres infrastructures globalement. Comme l’énergie, les routes, le chemin de fer, et pour le transport maritime parce que la mer est un grand atout. Nous comptons utiliser notre intelligence pour faciliter la mobilité des populations.

Voyez l’état de nos routes. Quand j’étais vice-gouverneur de la Banque centrale, j’ai initié ce qu’on appelle la taxe sur la communication téléphonique. Chacun paie aujourd’hui 60 francs par litre. L’idée c’était de créer un fonds. Les banques complétaient le reste, notamment les banques internationales, pour financer l’ensemble des routes en Guinée, dans toutes les 33 préfectures. Il y a eu des discussions autour.

 C’est une note que j’avais faite au président Alpha à l’époque, pour montrer qu’il y a un mécanisme de financement possible. C’est comme si vous allez à la banque pendant que vous avez un revenu de 10 millions de francs guinéens par mois. Si vous demandez à votre banque de vous prêter 50 millions, elle va vous les prêter, parce que vous avez un revenu qui permet de rembourser le prêt. C’était la même chose avec ces banques internationales.

J’ai eu l’honneur de participer à deux réunions à Paris sur cette question. Une banque était prête à accompagner le gouvernement à l’époque pour financer la construction de ces routes. On a tout mis en place et cette route allait être construite sous forme d’autoroutes. En tout cas, de terrassement au moins. Et au fur et à mesure, on fait bitumer. Ça, ça a été fait. Mais le dossier a mis du temps pour aller à l’Assemblée nationale. Et ça a coïncidé avec l’arrivée d’Ebola. L’argent n’a pas été orienté dans le fonds spécial dédié à cet effet finalement. On a loupé cette opportunité là. Et cette taxe fait qu’aujourd’hui, d’après les sources au CNT (parlement de la transition NDLR), les recettes des télécommunications sont supérieures aux recettes minières. Donc, nous savons où trouver l’argent pour financer les infrastructures.

Même chose pour le chemin de fer. Il nous en faut, au moyen jusqu’à la frontière avec le Mali, à Siguiri. Ensuite jusqu’à la frontière ivoirienne et celle sénégalaise. Parce que c’est un moyen de transport très efficace, si nous voulons accélérer le développement. Même s’il y a des autoroutes qu’il faut toujours faire. Au moins jusqu’à Mamou, il y aura une autoroute. D’ici, Boké et Forécariah, c’est la même chose.

Vous voyez le nombre de transporteurs, de camions qui empruntent ces routes-là. Mais il n’y a pas de péage. Nous allons instituer des péages également pour au moins entretenir les routes. Donc, il faut des routes, le chemin de fer, mais aussi l’énergie qui est fondamentale pour transformer une économie. Sans énergie, on n’a pas d’industrie. C’est pourquoi, dans notre politique, nous tenons à diversifier nos sources d’énergie comme il y a du potentiel dans différents domaines.

Guineenews: D’accord, mais où se situe l’emploi dans votre projet?

Comme je le dis souvent, l’emploi, particulièrement l’emploi des jeunes est fondamental. Aujourd’hui, plus de 70% de la population a moins de 35 ans. Qu’est-ce qu’il faut faire? Certains universitaires n’ont pas les compétences pour décrocher l’emploi. Certains diplômés des centres de formation n’en ont pas non plus. Donc, il faut renforcer la qualité de la formation. C’est pourquoi, dans l’éducation, nous allons revoir tous les programmes. Il y a un travail qui a été fait lorsque j’étais ministre. L’idée était de doter le système d’enseignement, des outils pédagogiques pour qu’il y ait l’adéquation entre formation et emploi.

Allez aux chantiers de Koloma actuellement. Ce sont des entreprises étrangères, des ouvriers étrangers qui y travaillent. Donc, si on veut assurer l’emploi à nos jeunes, il faut renforcer la formation. Ce qui va nous permettre de créer, dès le départ des centaines de milliers d’emplois. Cela dans des secteurs divers comme l’agro-industrie, la construction des routes, la construction des logements, l’environnement, le tourisme. Il y a un gisement d’emplois qui est disponible en Guinée. Mais il faut savoir l’exploiter en  connaissant les mécanismes.

Et enfin, il y a la digitalisation. C’est devenu non seulement un instrument pour renforcer l’efficacité de l’administration, du secteur privé aussi, mais c’est également un pourvoyeur d’emploi. Nous voulons nous aligner sur les standards internationaux. La digitalisation devient fondamentale. Les nouvelles technologies deviennent un instrument pour accélérer notre développement et l’intégration au monde qui évolue très vite.

Guineenews: Où se situe le secteur minier dans tout cela?

Le secteur minier est fondamental, parce que la Guinée est d’abord un pays minier. Mais la Guinée a beaucoup d’autres atouts. On ne peut pas tout concentrer sur les mines, surtout de la manière dont elles sont exploitées aujourd’hui, avec le minerai brut exporté. C’est ce qui fait que jusque-là, l’incidence est faible sur notre niveau de développement. A l’époque, nous exportons près de 20 millions de tonnes. Il n’y avait pas une grande incidence budgétaire. Il y avait de l’argent, bien sûr, mais on n’avait pas beaucoup de problèmes budgétaires, entre guillemets. Aujourd’hui, nous exportons beaucoup plus, jusqu’à 140 millions de tonnes, voire plus. Mais la chaîne de valeur, où est-elle ? L’exportation du brut ne nous sert pas grand-chose. Dans notre politique, nous allons favoriser la transformation du minerai sur place, au moins en partie, pour un départ. Mais à terme, il faut qu’on puisse avoir nos usines. Il faut qu’il y ait une industrie sidérurgique en Guinée, c’est fondamental. Il faut que nous ayons des raffineries d’or dans notre pays, parce que nous avons suffisamment de moyens pour le faire. Et c’est ce qui va nous permettre d’employer beaucoup plus, parce que dans la situation actuelle, il y a très peu d’emplois créés dans le secteur minier. Et surtout, ceux qui existent, ce sont  des emplois majoritairement subalternes. Les emplois les mieux rémunérés du secteur sont tenus par des étrangers. D’où encore on revient à la question de l’éducation, à la nécessité de faire en sorte que ceux que nous formons soient utilisables sur le marché du travail.

Guineenews: Vous venez de faire le résumé de votre projet de société, mais il se trouve que tout cela doit se faire dans un cadre. Des  réformes devraient être initiées. Qu’est-ce que vous envisagez pour que ces réformes aient lieu, et surtout pour leur ancrage institutionnel?

Très bien. Nous connaissons la situation actuelle. Les réformes vont concerner tous les secteurs, mais il y a une réforme fondamentale que nous devons faire dans l’administration.

Parce que si l’administration est efficace, tous les autres secteurs vont suivre. Comme  toutes les décisions se prennent dans l’administration, que ce soit les décisions d’investissement, ou les décisions concernant l’éducation, si l’administration n’est pas compétente pour prendre ces décisions, ça va être difficile. Donc, la réforme administrative est nécessaire. Et là aussi, la digitalisation va nous aider à accélérer le processus. En plus, les recrutements seront basés sur les compétences et l’éthique parce que quelqu’un peut être compétent. Mais s’il n’a pas le sens de la responsabilité et de l’éthique, on ne peut pas compter sur lui. Nous veillerons donc sur ces aspects et donnerons les moyens pour faire fonctionner le travail correctement. En tenant compte du fait qu’il y a aussi des agents très compétents dans l’administration, mais leurs compétences ne sont pas valorisées. Il faut carrément revoir tous les aspects institutionnels liés à l’administration.

On veut une administration de développement, une administration efficace et dépolitisée. Chaque Guinéen qui est dans l’administration est libre d’appartenir au parti politique qu’il veut. L’essentiel, c’est de ne pas faire de la politique dans l’administration. Mais personne ne doit être inquiété pour son appartenance politique ou religieuse, etc. Ainsi, nous pourrions donner l’impulsion pour que notre administration soit l’une des meilleures en Afrique. Sinon, pourquoi pas dans le monde, avec les moyens et le salaire qu’il faut.

Il faudra  aussi favoriser l’accès au logement pour les fonctionnaires. Imaginez aujourd’hui les loyers à Conakry. Nous allons mettre une politique en place pour favoriser l’accès au logement. Et l’avantage, c’est que j’en ai eu l’expérience. Quand j’étais au gouvernement, j’ai aidé l’un de mes collègues ministres de l’époque à l’urbanisme pour mettre en place un mécanisme de financement rapide du logement…

Guineenews: Il y a aussi parmi les préoccupations en Guinée, les questions de gouvernance, notamment la gouvernance économique. Quelle solution préconisez-vous à ce niveau-là ?

Vous parlez des questions de corruption ?

Guineenews: Bien sûr.

La corruption est un fléau pour tout le monde. Et en fait, même ceux qui sont impliqués dans le phénomène en souffrent. Du moment que ce sont des ressources qui doivent être affectées à la santé, à l’éducation, aux routes, à l’énergie qui vont ailleurs. Donc, il y a un effet qui n’épargne pas même ceux qui sont à la base. Par exemple, nous l’avons vécu avec le Covid.  Des personnalités sont mortes ici parce qu’on ne pouvait pas les évacuer, alors que nos hôpitaux n’avaient pas les capacités pour soigner ce type de maladies. Donc, il faut que les gens comprennent. La corruption est une gangrène et nous avons décidé d’éradiquer, en mettant  en place un système pour assurer la transparence dans la gestion publique. C’est à propos que je disais qu’il faut que les fonctionnaires aient les meilleures conditions. Pas seulement le salaire nominal, mais avec plusieurs accompagnements liés au logement, à la santé, à l’éducation des enfants. Même si nous voulons rendre l’éducation gratuite jusqu’en terminale au moins, en subventionnant les tenues scolaires et les outils pédagogiques.

Ainsi, quand le fonctionnaire n’aura plus trop de de soucis en ce qui concerne le logement, l’éducation de son enfant, la santé de sa famille, il se déplace et se nourrit correctement, sans beaucoup de difficultés, ça valorise son salaire. Ces questions, quand vous les réglez, vous pouvez facilement lutter contre la corruption. Mais quand les gens ont faim, c’est difficile.

Sans oublier que la lutte contre la corruption, un président africain m’a dit un jour, et je suis d’accord avec lui, que ça commence là-haut, avec les hauts cadres. Pas avec le petit fonctionnaire, pas avec le policier qui est dehors. Ça commence avec ceux qui prennent les décisions. Quand vous sécurisez là, le reste va suivre.

Guineenews: Ces mesures sont valables y compris au niveau de l’entourage du président?

Bien sûr, tout le monde. Aucune exception. Chaque franc dépensé devra être justifié. C’est pour ça qu’on va mettre l’accent sur la qualité de la dépense quand on fait une route par exemple, parce que la qualité des routes qu’on fait ici ne justifie pas le prix au kilomètre. Des  experts même m’ont dit à ce sujet que le rapport qualité-prix n’y est pas.

Guineenws: L’autre volet que nous n’avons pas évoqué avec vous, c’est la sécurité qui reste  l’une des problématiques auxquelles le pays est confronté. Est-ce que vous avez un schéma  pour régler ou quand même atténuer ce phénomène?

Déjà, il faut voir dans quel environnement nous nous trouvons avec ce qui se passe dans le voisinage comme au Mali, au Burkina, et un peu plus loin au Niger. La sous-région est dans une instabilité qui n’est pas du tout réconfortante. Et nous sommes aussi exposés à la longue, si on n’y prête pas attention. Donc, la collaboration régionale devient fondamentale. C’est pour cela que dans notre programme, la CEDEAO doit être renforcée. En dépit de ses failles, la CEDEAO est un bel instrument. On ne va pas le jeter. Il faut savoir que dans le cadre de la CEDEAO, on a tous les moyens pour travailler en synergie sur les questions de sécurité, mais surtout sur les questions de développement. Parce que l’insécurité se rapporte aussi à la pauvreté et à l’injustice, avec les frustrations qu’il y a partout. Donc il faut comprendre que ce n’est pas que par les armes qu’on peut éradiquer l’insécurité. Il faut aussi identifier les sources de cette insécurité-là. Et à notre niveaux nous avons déjà identifié certains facteurs. Y compris à l’intérieur du pays aussi, où la population est très paupérisée actuellement. Il y a beaucoup de pauvreté. Les gens ont peu de moyens pour pouvoir se nourrir. Donc nous allons renforcer la sécurité en intégrant tous ces facteurs et assurer le développement économique et social. Il faut que chaque Guinéen qui se lève le matin puisse avoir son petit-déjeuner, manger correctement à midi et également le soir. Il faut que chaque Guinéen ait accès à l’éducation, à la santé et à des opportunités pour son propre épanouissement. Ce qui équivaut à avoir un travail, donc une source de revenu, grâce à l’emploi. Ainsi, nous réglons une partie du problème. Le reste, c’est une question de gestion.

Guineenews: Maintenant, nous allons aborder l’aspect diplomatique de votre programme. C’est vrai que vous avez effleuré la question en parlant de la CEDEAO que vous entendez utiliser comme l’un des instruments. Mais vous savez que la CEDEAO fait face à une situation qui n’est pas du tout reluisante actuellement, notamment avec les trois pays qui forment déjà l’AES (Alliance des Etats du Sahel). Donc c’est une sorte de désintégration qui est entamée. Et au-delà de cela, nous sommes dans un monde, géopolitiquement en pleine mutation. Alors, quel sera votre schéma pour permettre à la Guinée d’exister dans ce nouveau monde en reconstruction?

Vous avez raison. Le monde est aujourd’hui en bouleversement. La CEDEAO aussi a perdu de sa superbe. Mais est-ce pour autant qu’il faut mettre la CEDEAO de côté? comme je le disais tout à l’heure, non. Les fondateurs de cette organisation avaient un idéal noble en ce qui concerne l’intégration ouest-africaine. Nous allons poursuivre cet idéal. D’ailleurs, nous envisageons de mettre en place des projets d’intérêt régional pour impliquer tous les pays de la CEDEAO. Je vous donne un exemple. J’ai accompagné le président Alpha en Afrique du Sud pour le sommet des BRICS, en 2013, si j’ai bonne mémoire. J’avais proposé à l’époque que pour Simandou, on fasse une industrie sidérurgique ou de l’acier, peu importe. Il m’a dit comment on peut le faire, pendant que nous n’avons pas de moyens. J’ai dit que c’est simple. Déjà, le capital personnel est là, le capital physique est là. Nous allons associer à ce projet tous les pays de la CEDEAO qui le veulent. Un, ça assure une partie de leur sécurité parce qu’on parle d’une voie. Deux, les fonds deviennent plus facile à mobiliser. Et trois, pour accélérer le financement, on va émettre 100 millions d’actions à 100 dollars l’action. Ainsi, nous avons déjà 10 milliards de dollars. Avec ça, aucune banque ne va refuser de financer un tel projet. Et comme on a besoin de chemins de fer de Dakar à Lagos, de Conakry à Niamey, de Cotonou à Ouagadougou, etc, on pourrait relier toutes les capitales de la CEDEAO. Imaginez ce que ça fait en potentiel économique, en potentiel d’emploi dans tous ces pays et en potentiel de paix.

Guineenews: Et peut-être le débouché, non?

Bien sûr, de débouché. La CEDEAO c’est 400 millions d’habitants. C’est plus que les Etats-Unis. Donc on a un marché intérieur qui est là. Et si on a ce chemin de fer, les produits vont aller de part et d’autre. Je l’ai dit lors d’une de mes conférences à l’étranger. L’Union Européenne est intégrée grâce au charbon et à l’acier. La même chose peut se faire pour l’aluminium. Dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, ne serait-ce que pour le logement, la demande est forte. Mais aujourd’hui, d’où viennent les tôles? Ça vient de l’étranger. Alors que la bauxite est produite ici. Donc si ensemble on fait un projet régional aussi pour l’aluminium, ça va accélérer. On peut émettre des actions pour que chaque citoyen qui le peut soit actionnaire, au niveau national et au niveau sous-régional. Vous même vous pouvez être actionnaire. Il faut que nous rendions nos populations riches. Chaque Guinéen peut être riche avec un tel schéma. Ce n’est pas un péché d’être riche. Et ça c’est possible parce que nous avons les ressources ici. Imaginez sur les 100 millions d’actions, à 100 dollars l’unité, vous achetez 10 actions. Ça vous fait 1000 dollars. Vous pouvez l’acheter facilement. Mais ça va vous donner des intérêts et vous enrichir plus tard. C’est comme ça que que l’Ethiopie a construit son barrage de la renaissance, sans aucun financement extérieur. Ils ont juste émis des obligations de trésor. C’est comme une dette que vous donnez à l’Etat. Ils ont fait ce barrage avec des ingénieurs éthiopiens, même si le bureau d’études était étranger. Quatre (4) milliards et quelques dollars, pour plus de 5000 mégawatts… C’est pour dire que c’est une question de volonté politique et d’organisation. Et ça on peut le faire avec les mégaprojets miniers, pour l’intégration réelle au niveau de la CEDEAO où nos amis de l’AES reviendront, à mon avis. C’est juste une question de temps. Parce que nous n’avons pas le choix que d’être avec tous les ouest-africains avec lesquels nous partageons la même histoire, le même espace. Et je souhaite vivement qu’un jour, tout le monde revienne à la CEDEAO. En accélérant le développement économique de la CEDEAO, avec des projets régionaux, ça devient attractif. On peut multiplier les exemples avec la Côte d’Ivoire et le Ghana qui produisent du cacao. Comme ça, nous tous, on pourrait investir dans la chaîne de valeur. La même chose pour le phosphate au Sénégal et au Togo ou l’engrais pourrait être produit pour approvisionner tous les pays de la sous-région. Nos pays deviennent ainsi actionnaires avec les populations qui peuvent acheter des actions. Encore une fois, le problème de la Guinée ou de l’Afrique, ce n’est pas l’argent. C’est la vision et la volonté politique. L’Ethiopie l’a démontré à travers le barrage de la renaissance.

La stabilité et la cohésion sociale, c’est aussi l’un des facteurs essentiels pour le développement de tous les pays. Et la Guinée n’en fait pas exception. Qu’est-ce que vous prévoyez dans ce sens, pour pouvoir dérouler sereinement votre programme?

L’unité nationale est un aspect fondamental, il faut la préserver. En réalité, la Guinée a une chance. Souvent, les gens disent qu’il faut la réconciliation nationale. Je comprends très bien. Mais la réconciliation entre qui et qui? Parce qu’il n’y a pas eu de conflit, à mon avis, d’une certaine nature en Guinée, entre les populations. La violence vient de l’État, depuis la Première République. Il n’y a pas eu de conflit entre les ethnies. C’est l’Etat qui fait la violence, pendant la Première République, la Deuxième République, la Troisième République, jusqu’à maintenant. Donc le concept de réconciliation, on va le voir peut-être sous l’angle de la justice transitionnelle. Pour que toute personne qui a été victime de la violence d’Etat, soit reconnue comme telle. Même si l’indemnisation est symbolique. Pour ceux qui sont morts, peut-être qu’on installe une stèle à leur mémoire. Et surtout, qu’on retrouve les corps qui n’ont pas été retrouvés afin d’apaiser leurs parents et proches. Je ne vais pas trop m’y étendre. Les spécialistes nous diront comment faire. Pour qu’à l’arrivée, on apaise les cœurs. Mais pour cela, il faut que la Guinée accepte de regarder son histoire en face, pour qu’on puisse avancer.

Guineenews: Nous tendons vers la fin de cet entretien. Mais il y a une question qui fait souvent débat dans la cité. Ça concerne la forme étatique de la Guinée. Il y en a qui continuent à soutenir la forme actuelle. Et d’autres qui envisagent plus de décentralisation. Voire aller vers la fédération des états. Quelle approche préconisez-vous?

Très bien. La forme actuelle de l’État peut être améliorée, à notre avis, parce qu’elle est très centralisée. Toutes les décisions se prennent à connaître. Même pour un simple investissement dans une école à l’intérieur du pays, il faut que la décision vienne de Conakry. Non. Quand j’étais à la Banque mondiale, on avait mis en place un programme de déconcentration budgétaire, pour donner plus de pouvoir aux communautés à la base, notamment les communes urbaines et les communes rurales.

Je crois que le programme s’appelait le crédit d’alimentation structurée (…). Donc, certains marchés se passaient dans les communes qui avaient une certaine autonomie. Pour ce qui est des sources de revenu, si on prend la taxe d’habitation, une bonne partie revient aux communes. Mais ce n’est pas appliqué. Il y a des taxes des carrières, etc. Donc, il faut donner le pouvoir financier aux communes à la base pour rendre effective la décentralisation, y compris sur les questions d’éducation, la construction de routes. En tout cas, quand on a commencé ce programme à la banque, la tendance qu’on a observée, certaines entreprises commençaient à créer des sièges locaux à l’intérieur du pays. Il y a une vie économique qui s’y organisait, parce que les fonds qui arrivaient dans ces communes faisaient l’objet de publication. Malheureusement, je crois, au bout de 2 ou 3 ans, ça s’est arrêté. Mais c’est une expérience que nous comptons rééditée au FRONDEG pour faire en sorte que la décentralisation soit effective. On n’a pas besoin d’être à Conakry pour décider de tout.

Au fur et à mesure, il faut donner plus d’autonomie aux villes de l’intérieur, aux régions de l’intérieur. Même la construction des routes devaient leur revenir, parce qu’elles connaissent mieux les réalités. Et ça décharge aussi l’État central. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de contrôle. Il faut contrôler là où va l’argent. Il faut des audits. Mais aussi, former les gens dans cet esprit-là. Pour rendre les choses vraiment fluides et permettre un  développement plus intégré. Sinon, attendre Conakry pour les décisions, ça peut prendre des mois. C’est pour ça, qu’il faut réformer complètement l’administration, pour qu’elle soit au service du développement.

Nous avons fait le tour de notre questionnaire. Avez-vous quand même un point sur lequel vous souhaiteriez revenir?

Oui, sur les réformes dans le secteur éducatif. Pour démontrer que c’est tout à fait possible, parce que quand j’étais ministre de l’enseignement supérieur, avec mes équipes, nous avons posé les jalons. Notamment, avec la valorisation de la fonction enseignante. Nous avons augmenté les primes. Nous avons mis en place le fonds de formation des formateurs qui a permis à beaucoup d’enseignants non seulement d’achever leur master, mais aussi d’aller faire le doctorat. Et ce fonds continue d’exister et de donner des moyens aux enseignants de se former. Nous avons équipé pratiquement une bonne partie des universités en laboratoire, des laboratoires de haute qualité. D’ailleurs, à l’ISSEG, au temps du COVID, on a fabriqué des gels désinfectants.

Nous avons construit assez d’infrastructures dans le pays, que ce soit à Conakry ou à l’intérieur du pays. Et nous avons également, dans le cadre de la valorisation de la fonction enseignante, augmenté les primes de fonction mensuelle des enseignants, même si ça n’a pas été appliqué à l’époque. Pendant que c’était 50 000 francs par mois depuis les années 90, nous avons amélioré ces primes. Pour les professeurs titulaires, cette augmentation a permis à leur revenus de passer à 10 millions. Les professeurs de rang magistral sont passés à 8 millions, et les maîtres à 6 millions. Et une partie de ce fonds devait permettre de construire des appartements. Partout où il y a des universités, on allait construire des appartements, puisque nous avons déjà la terre. Et ces appartements revenaient à ces enseignants-là à la fin de leur carrière, puisque selon le calcul fait à l’époque, au bout d’un certain nombre d’années, ils finissaient de rembourser. Il y avait des types d’appartements en fonction du grade. Ça c’est un exemple.

Quand je quittais, ça n’avait pas encore été complètement appliqué, parce que les assistants voulaient forcément aussi avoir leur part tout de suite, alors qu’ils devaient plutôt bénéficier du fonds de formation pour avancer en grade. L’idée, c’était aussi d’inciter les gens à se former plus, pour aller jusqu’au CAMES, parce qu’on a mis en place le CAMES, et plus personne ne va passer en grade supérieur tant qu’il ne passe pas au CAMES. Ça c’est un exemple. Donc ça permettait de valoriser la fonction enseignante et de donner un statut très particulier aux enseignants.

Nous avons mis en place aussi les classes préparatoires aux grandes écoles pour créer une élite. Un pays a besoin d’élite. On a envoyé des jeunes en Côte d’Ivoire, dans les classes préparatoires, et finalement on en a construit ici, à Dalaba, à Sibori.

Donc tout ça c’est une panoplie de réformes pour qualifier notre système éducatif, au moins au niveau de l’enseignement supérieur. On renforce aussi la recherche, pour que demain nos jeunes soient bien formés et compétitifs sur le marché du travail.

Par ailleurs, beaucoup ont intégré des grandes écoles d’ingénieurs en France et dans quelques pays africains. L’essentiel c’est comment on va capter maintenant ces ressources humaines de qualité et les mettre au service de notre pays. Pour un bon retour sur l’investissement.

Il y a aussi les réformes des programmes et des institutions elles-mêmes; leur autonomie, puisqu’on a mis en place des conseils d’administration.

Au niveau de l’école de médecine, on a bénéficié de ce qu’on appelle des centres d’excellence que la Banque mondiale a mis en place. L’école des mines de Boké a bénéficié de ce programme qui permet de renforcer le capital humain dans notre pays. Ce sont des éléments dont on peut parler entre autres.

Et on a mis en place le forum des étudiants en Guinée pour que ce soit un lieu de rencontre entre entreprises, universités, même les écoles pour orienter les étudiants et les élèves dans le choix de leurs études. On a eu trois éditions successives, mais après mon départ, ça n’a pas pu continuer.

On a aussi mis en place un fonds pour financer les études des femmes enseignantes. Avec un concours pour récompenser les meilleures enseignantes et un fonds pour leur formation et la recherche également.

Guineenws: Discrimination positive?

Oui, discrimination positive parce que justement une femme éduquée, c’est un foyer éduqué, mais c’est surtout une nation mieux armée à faire face aux défis du moment et à l’avenir.

Guineenws: Alors, nous sommes au terme de cet entretien que vous avez bien voulu nous accorder au compte de la rubrique “Parole de candidat”. Mais avant de terminer, on veut savoir qu’est-ce qui fait de vous une alternative crédible, le candidat que les Guinéens pourraient choisir au soir du 28 décembre prochain ?

Très bien. Tout au long de notre discussion, je vous ai fait part un peu de toute mon expérience et de toute la vision que j’ai pour notre pays. Mon expérience dans le secteur public, dans le secteur privé, les pratiques que j’ai eues à mettre en œuvre lorsque j’étais dans ces différents secteurs, me donnent aujourd’hui la capacité de mener à bien la destinée de ce pays, dans tous les domaines.

Ensuite, j’ai la capacité managériale nécessaire, parce que tout au long de ma carrière, j’ai travaillé en équipe. Et ces équipes sont toujours autour de moi. Certains feront appel à d’autres personnes, d’autres cerveaux pour avoir plus de ressources humaines pour avancer, parce qu’un programme tel que le nôtre en a besoin pour son application.

Mon principe, c’est de m’entourer des meilleurs cerveaux. Et c’est ce que j’ai fait durant tout mon parcours professionnel et politique. Ce qui m’a permis de comprendre les enjeux quand j’avais la main à la tâche, en dépit des contraintes. J’ai eu beaucoup d’obstacles. Mais il y a toujours eu des pistes de solutions que j’ai exploitées pour pouvoir mener à bien les réformes, notamment dans l’enseignement supérieur, mais aussi à la banque centrale qui est, en fait, le cerveau de l’économie nationale. La politique monétaire, la politique bancaire, la politique minière, j’y ai contribué. Et avant, au privé où j’étais chargé de trouver le financement pour la raffinerie de Sangarédi, un projet de 5 milliards de dollars…

Donc, mon exposition internationale et mon exposition à l’interne me permettent de comprendre les grands enjeux pour conduire le développement de notre pays. Croyez-moi, nous allons pouvoir réussir à sortir la Guinée des difficultés actuelles, en faire un pays respectable, un pays émergent, où il y a des opportunités pour tous. Parce que nous en avons la capacité.  Et au niveau du FRONDEG et à mon niveau personnel, l’intégrité, la transparence sont des principes non négociables. Pour preuve, dès que nous avons reçu les 2 milliards de subvention de l’Etat, nous l’avons annoncé. Donc avec nous, c’est une gouvernance basée sur la transparence, l’intégrité et la reddition des comptes.

Abdoulaye Yéro Baldé, c’est la fin de cet entretien au compte de la rubrique “Paroles de candidat”. Merci pour la disponibilité et bonne chance.

Entretien réalisé par Thierno Souleymane & Mamadou Saliou Diallo 

 

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