L’agence Reuters a récemment publié un reportage évoquant d’importantes pertes d’emplois dans le mégaprojet minier de Simandou, évoquant plusieurs milliers de travailleurs licenciés à la suite de l’achèvement des principales infrastructures, notamment le chemin de fer, les mines et le port.
Si le gouvernement guinéen a – aux dires des spécialistes – sans doute commis une erreur de communication en présentant Simandou comme une solution miracle — « la fin des fins » capable à elle seule de sortir la Guinée du sous-développement — la lecture qu’en fait une partie de la presse occidentale, notamment anglo-saxonne, reprise par certains media français – apparaît biaisée et trompeuse, selon plusieurs experts interrogés.
Un projet d’infrastructures sans précédent
Les infrastructures de Simandou constituent le plus vaste projet jamais entrepris dans l’industrie minière mondiale. Elles comprennent environ 650 kilomètres de voie ferrée, un port minéralier, ainsi que deux mines, chacune reliée par une bretelle ferroviaire. L’ensemble a nécessité un investissement colossal estimé à 22 milliards de dollars américains, entièrement financé sur fonds propres par des géants miniers tels que Rio Tinto, Chinalco, Weiqiao Aluminium, Winning Consortium (Singapour), entre autres.
La phase de construction a exigé une main-d’œuvre considérable, notamment pour les ponts, tunnels, travaux logistiques et la pose des rails dans des zones souvent inhabitées. Des milliers de Guinéens ont ainsi été recrutés, aux côtés de travailleurs venus de Chine, d’Inde, d’Afrique du Sud, d’Australie, d’Europe et du Canada.
Des délais serrés et une exécution industrielle
Le gouvernement guinéen a imposé des délais particulièrement contraignants. Les principaux maîtres d’ouvrage — Rio Tinto et le Winning Consortium Simandou (WCS) — se sont appuyés sur des entreprises chinoises spécialisées afin de respecter le calendrier.
La principale dépense concerne le chemin de fer Moribaya–Simandou, long de 536 kilomètres, auquel se rattachent :
- une bretelle de 70 km pour le bloc 3 & 4 de Simfer (Rio Tinto–Chinalco),
- une bretelle de 16 km pour le bloc 1 & 2 de Winning Consortium Simandou (Winning–Weiqiao).
Le chantier représente un véritable exploit d’ingénierie avec 206 ponts et 4 tunnels totalisant 26,7 kilomètres.
Des contrats largement dominés par des acteurs asiatiques
La construction a été confiée à des entreprises de référence :
- China Railway Group (Chine) : ligne principale et bretelles,
- China Harbour Engineering Company (Chine) : port de Moribaya,
- Komatsu (Japon) : équipements miniers roulants,
- XCMG Machinery (Chine) : engins de chantier,
- Webtec (États-Unis) : locomotives (assemblées en Inde),
- Alstom (France) : systèmes de signalisation,
- Africa Transport, AMA et GPC : sociétés guinéennes de transport logistique.
La majorité de ces contrats n’a toutefois jamais été rendue publique. Même les clauses de l’accord renégocié n’ont pas été communiquées aux Guinéens, ni au FMI et à la Banque mondiale, qui les auraient pourtant sollicitées sans succès.
Une baisse d’emplois prévisible après la construction
Le pic de la construction, entre 2023 et 2025, a mobilisé près de 60 000 travailleurs, jusqu’au lancement officiel du projet le 11 novembre 2025, en présence du président de la Transition, de plusieurs chefs d’État et du vice-président chinois.
Une fois les infrastructures achevées, la réduction des effectifs — guinéens comme étrangers — était inévitable. Le projet est hautement mécanisé, de la mine au port, en passant par des méga-trains automatisés nécessitant peu de personnel. Cette baisse des emplois était donc normale et prévisible.
Anticipant cette situation, Simfer a mis en place, sur fonds propres, des programmes d’accompagnement, incluant formations, reconversion professionnelle et soutien à la sous-traitance.
Comme le résume un expert :
« Quand vous construisez une usine, vous employez des maçons, des charpentiers et des installateurs. Une fois l’usine opérationnelle, vous n’avez plus besoin de tout ce monde. »
Une lecture géopolitique sous-jacente
Pour plusieurs observateurs, la tonalité sensationnaliste de certains reportages anglo-saxons, relayés par une partie de la presse française à destination de l’audience africaine, traduit surtout une frustration face à la domination croissante de la Chine dans les investissements miniers africains.
La France, autrefois influente dans ce secteur, est aujourd’hui largement absente. Le financement du projet est assuré conjointement par Rio Tinto et des institutions financières chinoises, tandis que les travaux lourds ont été confiés à des entreprises chinoises disposant d’une expertise reconnue sur des projets de très grande envergure.
Les entreprises françaises, malgré la proximité diplomatique entre Paris et le président de la Transition, ne disposaient pas des capacités techniques nécessaires pour participer à un projet de cette ampleur. Leur principale présence s’est limitée au cabinet d’ingénierie Egis, conseiller technique de l’État guinéen, pour des honoraires non divulgués mais estimés à plusieurs centaines de millions de dollars selon certaines sources.
Un projet stratégique aux enjeux durables
Contrôlé par Rio Tinto jusqu’en 2008 avant l’expropriation partielle décidée sous le régime de Lansana Conté, Simandou demeure un enjeu stratégique majeur. Le groupe anglo-australien est allé jusqu’à verser 700 millions de dollars au gouvernement d’Alpha Condé pour conserver ses deux blocs, menacés pour non-respect du code minier.
Selon un expert minier :
« Pour la Chine, Simandou représentait l’occasion de réduire sa dépendance au minerai de fer australien, tout en démontrant sa puissance financière et industrielle. »
Et d’ajouter :
« L’Occident peine à accepter la montée en puissance chinoise dans une industrie historiquement anglo-saxonne. Les campagnes de dénigrement autour de Simandou vont se poursuivre. »
Une question de gouvernance
Quant aux retombées concrètes pour le Guinéen ordinaire, les observateurs s’accordent sur un point :
Le succès de Simandou dépendra de la bonne gouvernance, du choix des compétences humaines, de la gestion des revenus futurs et de la transparence de la part des dirigeants — des compétences largement insuffisantes et des défis récurrents en Guinée depuis l’indépendance. La situation du triangle Boké – Boffa – Sangarédi qui a exporté des centaines de milliards de dollars de bauxite depuis des décénnies. Mais à voir l’état de la situation dans la région et le niveau de vie des riverains, on se demande où est parti tout cet argent.

